Une leçon de Poussin


Dimanche 29 mai 2011, exposition Nature et idéal : Le Paysage à Rome 1600–1650, Carrache, Poussin, Le Lorrain, Galeries nationales du Grand Palais.
Nicolas Poussin, Paysage avec ruines, ca. 1634, 72 x 98 cm, collections du Musée du Prado, Madrid (non exposé dans ce musée). © Musée du Prado, http://www.museodelprado.es/en/the-collection/online-gallery/on-line-gallery/obra/landscape-with-ruins/

Ce paysage allégorique fait allusion à la gloire de la ville de Rome. Au premier plan, devant un sarcophage étrusque symbolisant l’origine de la civilisation romaine, un personnage montre le chemin menant à des bâtiments de style classique dans l’arrière plan.

On sait que le (mot) paysage (occidental) apparaît d’abord en peinture et relativement tard, à la Renaissance. On sait aussi que, dans la peinture chinoise, le paysage (un premier traité en 440 de notre ère) introduit nécessairement des relations dans notre esprit (Augustin Berque). Un cheminement interne lisible, l’inscription mentale dans un trajet comportant des transitions et des points d’arrêt, une succession étagée de couches induisant un mouvement dans la profondeur, sont l’alternative à une vision globale, attachée à un point de vue fixe, perspectiviste. S’il est une construction d’espace-temps, elle relève du récit et non de l’illusion optique et individuelle. Il faut se garder cependant, en matière de topologie du paysage comme en tout domaine, d’un partage trop net entre Orient et Occident. Il existe certainement des commentaires fort documentés sur l’iconographie et sur le style de ce tableau de Poussin, peu connu. N’en disposant pas, je m’intéresse à ce qui se voit directement, à un dispositif qui, précisément, à la manière chinoise, contredit la vue d’ensemble au bénéfice du déplacement par étapes et par points attachés à des monuments (ou indices mémoratifs). Son architecture théâtrale, comme son récit, peuvent l’assimiler à un diorama, à un agencement de plans frontaux radicalement parallèles, autrement dit constitutifs d’un tableau par couches qui engendre un jeu de relations entre le proche et le lointain comme entre le vu et le caché. Pour autant, ce qui s’affiche excelle dans le littéral non mystérieux. Un tel principe permet l’audace d’une représentation lacunaire des monuments « centraux » placés dans une fausse profondeur, sans sacrifier aux effets d’une incertitude brumeuse. Poussin est reconnaissable aussi dans cette façon de traiter, sans hiérarchie de facture ou texture chromatique, le ciel, les arbres, les constructions, les personnages. Il faut enfin remarquer que les personnages du premier plan, peut-être parce qu’ils ne sont que des fantômes de passage et parce qu’ils figurent virtuellement les regardeurs du tableau, sont translucides, laissent passer le chemin à travers eux.


Nicolas Poussin, Paysage avec ruines, détails.

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