Samedi 24 septembre 2011, 19h, 93bis. Entendu très souvent à la boulangerie voisine, boulevard Voltaire : « Une tradition, bien cuite. » Moi, je dis seulement : « Deux traditions », car il y en a une qui va au congélateur.
Catégorie : Vie des objets
La fraternité (Vie des objets, Ch. 17)
Mercredi 13 juillet 2011, 11h, Aix-les-Bains. Dans la cuisine de la rue Isaline, dans le casier de contreplaqué de 15 mm peint, se trouvent désormais rassemblés deux pichets fabriqués et achetés à Cliousclat, Drôme (Voir : http://poteriedecliou.com/, mais c’était avant quelques changements de direction), d’inspiration traditionnelle plus ou moins dauphinoise et savoyarde, qui sont restés quelques années, l’un à Pierrelatte, l’autre à Paris. On remarque la concordance absolue de leur jaune avec l’ocre-jaune de la polychromie « Isaline » (2008).
Changer la vie (Vie des objets. Ch. 16)
Jeudi 12 mai 2011. « Changer la vie », c’était un slogan d’il y a 30 ans. Puis il y a eu « la fin des grands récits ». Depuis quelques semaines, la bouteille de lait de Monoprix Bio a changé : le bouchon se visse et se dévisse sans se bloquer ni se mettre en travers. Pour un geste que l’on répète chaque matin, ça change la vie.
— Incidemment : on a pu croire qu’ouvrir le frigo la nuit pour boire du lait directement à la bouteille, c’était la liberté. Puis on a appris que le lait, ce n’était pas si bon que ça pour la santé.
— Ceci est le 401e article de jlggbblog2.
Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre), Nicholas Ray, 1955.
La démocratie (Vie des objets. Ch. 15)
Dimanche 27 février 2011, 16h30, 93bis. C’est, une fois encore, dans la succession des mugs que s’observent les lignes de fuite de la vie des objets. Après les tasses ouvertement traditionnelles, la mug en verre de forme contemporaine de Muji avait tenté de prendre le pouvoir. Mais elle s’est révélée fragile à son tour (voir : http://jlggb.net/blog/?p=3185). Depuis, un changement de format s’est imposé : « le lait n’est si bon que ça à la santé », 50 cl, c’est trop, et remplir sa mug à moitié, c’est triste. La tasse dessinée par Fukasawa pour sa marque de Tokyo, Plus Minus Zero, était une bonne candidate dans la catégorie 30 cl. Mais le camarade du « Super Normal », Jasper Morrison, a inscrit en 2008, dans sa ligne économique pour Alessi, un objet très proche; peut-être un peu moins radicalement minimaliste, un peu moins raffiné, mais nettement moins cher (6 euros contre 25 euros en Europe ou 14 euros au Japon). Plus démocratique ? Mais oui ! Et même politiquement correct. C’est ce que revendiquent le producteur Alberto Alessi, comme le designer. Citations :
« Voilà tout ce dont on a besoin pour préparer une belle table tous les jours. J’ai toujours admiré Jasper Morrison pour la cohérence et la modestie avec lesquelles il joue son rôle de designer. Par exemple, il garde à l’esprit cette vérité essentielle : dans les types traditionnels d’articles ménagers, l’évolution s’est presque toujours faite à travers de petites étapes, des changements infimes de forme ou de fonction. Au cours de l’histoire, ces changements ont été apportés par des générations de créateurs souvent anonymes, pour parvenir aux formes et aux fonctions standards que nous connaissons aujourd’hui. Toujours fidèle à cette conviction (récemment théorisée au cours de l’exposition « Super Normal », conçue conjointement avec son ami Naoto Fukasawa), Jasper est devenu l’un des créateurs les plus appréciés de la scène internationale. Avec les assiettes en porcelaine […] et les verres […] qui s’ajoutent aux couverts […] de 2005, Alessi propose pour la première fois dans son catalogue, une offre complète de service de table accessible en « entrée de gamme ». J’emploie volontiers cette dénomination d’entrée de gamme que j’entends comme un titre de mérite. Effectivement le prix de ces articles ménagers est vraiment limité, mais cela n’induit aucune concession sur la qualité du design. Ce projet est une nouvelle contribution de la marque A di Alessi à la démocratisation du design. Comme le dit Jasper « j’aime l’idée qu’un verre à vin accessible à tous soit légèrement plus formel que les autres. De cette manière, il donne à la table l’aspect cérémoniel d’un vrai repas où l’on ne se contente pas seulement de « manger ». J’ajoute que cette recherche de « normalité » anti-glamour confère paradoxalement à ses créations une aura de simplicité sophistiquée qui illustre bien les ambitions de la marque A di Alessi. »
Jasper Morrison, dans un entretien au Figaro en 2009 :
« Mon principe est : pas de gaspillage. J’utilise donc les bons matériaux pour chaque projet, sans exagérer, en éliminant les problèmes liés au recyclage chaque fois que cela est possible. […] Je ne suis pas convaincu qu’il soit possible ou réaliste de produire des objets totalement écologiques, mais la responsabilité du designer est de ne pas gaspiller nos ressources. Les produits doivent donc être durables, à la fois physiquement et visuellement. […] Concevoir des produits qui dureront longtemps et ne se démoderont pas est sans doute plus important. Car même un objet 100 % écologique (en admettant qu’il existe) nécessite d’être emballé et transporté. Alors, s’il doit être renouvelé parce que intrinsèquement, ou du point de vue de son style, il n’est pas ‘durable’, il posera un problème écologique. »
Sur Jasper Morrison, voir : http://jlggb.net/blog/?p=5517
Sur Super Normal, voir : http://jlggb.net/blog/?p=433
Mug Plus Minus Zero de Naoto Fukasawa, 2007. Voir : http://en.plusminuszero.jp/products/gallery/3
Le mimétisme (Vie des objets. Ch. 14)
Un album d’images du chocolat Nestlé-Kohler des années 50 (Les Merveilles du monde) comportait ce chapitre : « Le mimétisme chez les animaux ». Il s’agissait plutôt de la façon dont certains animaux se confondent avec leur environnement. Mais nous avons conservé l’expression dans notre lexique de private jokes pour ironiser sur les ressemblances acquises, surtout dans les couples.
Ici, le mimétisme m’est apparu dans l’authentique et insidieuse confusion ressentie à la vue du tube Clinique (correcteur de regard). J’ai vu un Opinel (la main couronnée). Ce rapprochement photographique, prévu depuis des mois, devrait donner une idée de cette impression. Vendredi 17 décembre 2010, 17h, Aix-les-Bains, pour la photo, puis 22h, TGV Aix-Paris, pour le texte.
La disparition (Vie des objets. Ch. 13)
Après le 29 septembre 2010, 19h, métro ligne 13, station Place de Clichy, venant de Saint-Denis. La doublure et la poche gauche de ma veste a été coupée par mon voisin de strapontins. Au signal de son collègue, juste avant la fermeture des portes, il est parti avec le iPhone 3Gs. Le lendemain, j’ai passé 3 heures au commissariat central du 11e arrondissement pour raconter cette performance.
Mercredi 8 décembre 2010, 9h30, salle des dépositions du commissariat central du 11e arrondissement. La policière (jeune, accent du Midi, cheveux noirs et courts, yeux très bleus, en uniforme, y compris les rangers de cuir noir) est en train de photocopier la facture du iPhone 4 acheté le 30 septembre pour remplacer le précédent. Cette fois, la performance a eu lieu ligne 2, à Belleville, direction Nation, mardi 7 décembre à 15h05. Au signal de son collègue, juste avant la fermeture des portes, le jeune homme m’a arraché ce téléphone des mains, sans me toucher.
iPhone 3Gs; iPhone 4 (documents Apple Store).
La réparation (Vie des objets. Ch. 12)
Mercredi 28 juillet 2010, 23h30. Sur le bureau depuis plus de quatre ans, il vient de la boutique d’antiquités de la Petite Pagode de l’Oie sauvage de Xi’an (en Chine). Un pot de porcelaine ainsi cassé et réparé, avec ses agrafes de fer et ses cicatrices bien visibles, c’est ce qu’il fallait pour permettre de croire, non pas tant à une authenticité forcément opaque, mais tout simplement à une longue vie intéressante.
Le jour de la retraite (Vie des objets. Ch.11)
Jeudi 1er juillet 2010, 23h55, 93bis, Paris 11e. Tout ce qui reste de couverts en acier inoxydable IKEA (made in Korea) de la ligne Dragon (designer : Carl-Gustaf Jahnsson) a été sorti pour être mis à gauche, disons à la retraite — ce qui ne signifie pas le renoncement à tout emploi. Le dessin de la fourchette, plus encore celui de la petite cuillère, sont d’une telle simplicité moderne qu’ils auraient dû rejoindre le « Super Normal ». Ce sont LES couverts. Ils portent les marques de 30 ans d’usage quotidien. Ils ont été achetés en effet à l’ouverture du premier IKEA de France, à Bobigny, en 1981.
La nouvelle génération (Vie des objets. Ch.10)
Dimanche 30 mai 2010, 22h, 93bis. Dans le chapitre 9, deux pots à crème anglais étaient entrés en scène pour affirmer l’ancienneté (et la permanence ?) du « Super Normal ». Dès le 1er chapitre (4 sept. 2008), un pot (mug) en verre, fabriqué en Chine, avait signifié, sans le dire trop fort, que la vie des objets avait basculé dans le XXIe siècle. On doit se rendre à l’évidence, le « pitcher » (c’est le mot qui nous manquait, qui attaque par surprise; c’est ce qui est inscrit sur l’étiquette Muji : Heatproof Glass Milk Pitcher, Made in China, 125 Ml) rejette dans le XXe siècle, et même avant, le très beau « creamer » de Johnson Bros, par son minimalisme, l’évidence de sa forme et de son matériau, la justesse de ses dimensions. Et aussi sa modernité « globale » et « durable » : fabriqué en grande série, il porte malgré tout des signes du « fait main »; en verre modeste, il se confond dans la cohorte des recyclables.
L’identité (Vie des objets. Ch.9)
Mercredi 21 avril 2010, 93bis. Deux petits pots à crème en faïence anglaise. Rose : h : 65 mm, d : 58 mm. Jaune : h : 80 mm, d : 65 mm. On remarque que la hauteur du petit est égale au diamètre du plus grand. Le hasard des déplacements les a fait se retrouver. On dira creamers : l’un et l’autre « Made in England » par Johnson Brothers. Le petit rose, marqué 1/8 (de pinte) a été acheté en Angleterre il y a plus de 20 ans, avec une grosse théière ronde assortie. Le jaune (Goldendawn) vient des puces de Vanves, il y a quelques années. Ils ont tout de frères ou de sœurs. Dessin d’une perfection rare, ils pourraient s’identifier au « Super Normal » de Morrison et Fukasawa (voir 10 juillet 2008). Appartenance : le peuple. Et pourtant Google les ignore. Le nom Johnson Brothers est une piste mais ne renvoie qu’à des individus plus sophistiqués, décorés et nobles. L’agence américaine replacements.com, qui compte pourtant plus de 300 000 références avec 861 modèles de creamers Johnson Brothers, ne donne rien : ces pots sans nom ne méritent pas d’être remplacés ? Où sont les autres ? L’avis de recherche est lancé. Un nouveau chapitre de la lutte entre identité et singularité vient de s’ouvrir.
Suite : l’essor de sites de ventes tels que Etsy en fera apparaître un en 2018. Mais surtout va s’éclaircir la qualification d’un style « d’après guerre », destiné, par décision gouvernementale, à favoriser une « reconstruction » évitant l’excès de décorations, au bénéfice d’une gamme simple de couleurs douces de la matière Greendawn, Rosedawn, Greydawn, Goldendawn : http://jlggb.net/blog6/2018/08/23/milk-jug/