Dimanche 11 décembre 2011, 23h, Paris. Sur mon étagère, il y a, depuis des années, un appareil photo que j’ai emprunté à Frank Popper. C’était en 1983, nous préparions l’exposition Electra pour le Musée d’art moderne de la Ville. F.P. m’avait demandé de chercher et de classer des photographies dans son bureau qui se trouvait sous les toits, quai des Grands Augustins. Il s’interrogeait sur une éventuelle pellicule qui se trouverait dans cet appareil étrange, petit, très lourd, nommé Robot, comportant un mouvement à ressort et un solide bouton pour le remonter. C’est que cet appareil peut capturer les images en rafales. Il y avait une pellicule mais elle ne donna rien. Aujourd’hui, Frank vient, avec Aline, nous rendre visite. La vue de l’objet lui dit quelque chose, mais il ne se souvient pas d’où il le tenait. Ce que l’on peut comprendre de cet appareil photo, c’est qu’il a rapport à la guerre, à l’aviation. L’objectif est un Schneider-Kreuznach Tele-Xenar f : 3,8 – F=7,5 cm. Le viseur présente un cache qui réduit le champ pour l’adapter au téléobjectif. La visée se fait ou bien par l’oculaire arrière ou bien par l’oculaire de côté. Les négatifs font 22 mm de large sur 23 mm de haut. Ici, l’inscription gravée sur les appareils Robot II F embarqués, « Luftwaffen-Eigentum » (Propriété de l’Armée de l’air — voir un document trouvé sur Internet), a été grattée. Il y a un numéro à l’intérieur, qui est en bakélite : F 55783-5. Car on peut apprendre qu’un tel appareil — qui gagna un Grand Prix à l’Exposition universelle de Paris en 1937 — fut fabriqué à 20 000 exemplaires (voir le site consacré à l’histoire du modèle Robot : http://www.robot-camera.de/ROBOT_Historie/robot_historie.html) pour équiper les avions allemands engagés dans la guerre, et notamment ceux qui avaient pour cibles les villes et la population de Grande-Bretagne (http://www.robot-camera.de/ROBOT_Kameras/Robot_II/Robot_II_Luftwaffe/robot_ii_luftwaffe.html). C’est ici qu’il faut rappeler que F.P. a fui Tannwald, en Tchécoslovaquie, en juillet 1938 (il avait 20 ans), pour Londres où il a cherché et finalement obtenu un engagement volontaire dans la RAF, non pas comme Photointerpreter, comme il le souhaitait, mais comme Wireless Operator (lire son livre Réflexions sur l’exil, l’art et l’Europe, Klincksieck, 1999, pp.61-62 et l’article de jlggbblog du 22 mars 2009 : http://jlggb.net/blog/?p=1895). Frank Popper m’a dit, cet après-midi, qu’il souhaiterait écrire un curriculum vitæ, non pas l’énumération de tous ses articles, de toutes ses conférences, mais la suite de tous les instants qui ont marqué son existence, qui ont marqué sa mémoire. Je fais l’hypothèse que l’objet qui est sur mon étagère provient d’un avion tombé en Angleterre et récupéré par F.P.