Tomber (Vie des objets. Ch. 103)


Lundi 27 septembre 2021, 14h30, Aix-les-Bains. Le bois peut tomber, il peut casser. Le tableau dit Les Charbonniers ou Les Boissiers, de 1892, trouvé aux puces de la Porte de Montreuil en 1985, est resté ici au mur pendant plus d’un an ; collé au mur par un ruban double face, il est tombé une nuit sur la table de nuit en la perçant de l’un de ses angles. Le bois de ce meuble Muji s’est révélé un plaqué sur une structure de quasi-carton. La photographie If centenaire du Temple du ciel à Pékin, de 1985, dans cet unique tirage selon le procédé Fresson, que j’avais offert à mon père qui l’encadra, a vu l’un de ses anneaux s’arracher ; il est tombé très verticalement en cassant un bord d’un plateau lui aussi rangé verticalement au pied du mur. En contreplaqué moulé, ce bel objet hérité, de style danois, avait précisément été choisi par mon père lors de son séjour parisien des années 1947 et 1948. On constate que ces histoires se sont rassemblées dans la même image.

Persister (Vie des objets. Ch. 102)



Lundi 20 septembre 2021, des archives. Thermor, Calor, Husqvarna, les appareils pour la maison ont un charme assuré autant par leurs noms, leurs dessins, leurs matières ou leurs couleurs que par leur utilité persistante. Leur usage conteste leur désuétude en entraînant vers des gestes du passé. En vérité, le temps de leur veille en réserve a largement dépassé la durée de leur première existence en fonction.

Reprendre (Vie des objets. Ch. 100)



Dimanche 8 août 2021, 19h29, place de la Nation, Paris. Dans l’autobus 57, emprunté à la gare de Lyon, deux jeunes filles me proposent, avec insistance, par signes, une place assise. Je dis que je ne vais pas loin. Elles se lèvent et je m’assieds. L’une d’elles, un peu plus tard, s’assied de nouveau, à côté de moi. Je descends à Nation et je vois que mon sac est ouvert et que mon portefeuille manque. Alors que l’autobus repart, je frappe à la porte et le conducteur m’ouvre. Je vais rapidement vers les jeunes filles, je les regarde en prononçant nettement, dans mon masque : « Mon portefeuille ». Celle de la vitre s’écarte légèrement, l’objet noir est là sur le siège, elle me le tend. Je ne dis rien, je sors mon iPhone, je les prends en photo et en même temps j’appuie sur le bouton d’arrêt, je descends : expérience assez rare d’un « temps réel » où la réflexion, la perception et l’action se superposent exactement ; satisfaction d’une prise de vue « parfaitement cadrée ».

Transiter (Vie des objets. Ch. 99)


Lundi 12 juillet 2021, 22h, Aix-les-Bains. Un hôtel à l’abandon depuis des années, Le Continental, est repris par une coopérative qui vend des produits bios et qui va ouvrir un café-restaurant. Pour cultiver la clientèle, une visite des travaux est proposée. Ayant à l’esprit une collecte des duos sucrier crémier, j’aperçois un pot à lait en porcelaine que je pense connaître. On me l’offre, il a bien l’inscription Colditz, Made in GDR. Le service pour l’hôtellerie nommé Rationell a été dessiné par Margarete Jahny et Erich Müller au début des années 1970. Sur une ligne qui se réclame plus ou moins ouvertement du Bauhaus, les pièces sont fonctionnelles : utilisables d’une seule main, bec verseur sans gouttes, empilement et agencements possibles, couvercle retenu, etc. Au début des années 90, dans le train vers Karlsruhe ou, plus loin, vers Linz, on a aimé les wagons-restaurants Mitropa, qui avaient été une exclusivité de la RDA. La vaisselle était cette Rationell, avec notamment l’emblématique petite verseuse, la Kännchen. Mon pot à lait n’est pas retrouvé sur les sites de brocante en ligne, mais le plus petit s’y trouve, et avec la marque Mitropa. Coïncidence significative : l’affiche et le catalogue de l’exposition qui vient d’ouvrir à Bâle, chez Vitra, « Deutsches Design 1949-1989, Zwei Länder, eine Geschichte », présente la serveuse Mitropa comme modèle historique du design d’Allemagne de l’Est.

Accrocher (Vie des objets. Ch. 95)


Dimanche 31 janvier 2021, midi, avenue du Grand Port, Aix-les-Bains. Au bas des piliers ou des pilastres, du portail ou de la porte cochère, ils furent là pour les protéger des roues. Puis ils sont devenus les protecteurs des carrosseries, en s’alliant aux pneus. Ils suppléent à la vue. Par la coalition de ses couleurs successives, celui-ci trouve le moyen d’accrocher le regard du passant et fait sortir son nom de l’oubli : chasse-roue.

Assemblage


Vendredi 7 août 2020, 11h30, chemin des Bottes, Aix-les-Bains. Avec le soleil de face, produit par une barrière, un assemblage de quatre éléments — mélèze pleureur, laurier rose, bouche d’incendie, flèche — se présente prêt à être reproduit.

Du placard à la fenêtre



Jeudi 26 mars 2020,15h, 93bis : une bobine de film 35 mm sonore, une minute, ressortie sans dire son histoire, une manière de bande annonce à être ajoutée aux films, signée par le Comité de défense de la Cinémathèque française, où François Truffaut et Jean-Luc Godard demandent aux spectateurs d’adhérer pour soutenir Henri Langlois, en février 1967 ; ballon de laboratoire, Pyrex, 100 ml, breveté S.G.D.G., France.