Entendu : mōshiageru, 申し上げる, disparition du je

Yoko Tawada (traduction du japonais lors du dialogue avec Michel Deguy le 18 mars 2012 au Salon du livre, voir l’article précédent) dit :

« La singularité de la langue japonaise fait que, pour dire moi, il n’existe pas un seul mot mais une multitude de mots qui varient en fonction de la relation que l’on instaure avec la personne à qui l’on parle et qui change aussi en fonction des degrés de politesse que l’on va utiliser. Le je en japonais ne peut être conçu dans une expression que comme un mode de relation à l’autre et n’est pas du tout conçu comme quelque chose d’individuel, coupé du rapport à l’autre. »

« C’est très spécifique du japonais pour ce qui est de l’expression du sujet, ou de la subjectivité : l’un des mots que l’on peut utiliser, c’est watashi, qui correspond à je, mais, grammaticalement parlant, on n’est absolument pas obligé d’utiliser ce je comme sujet dans la phrase. En fonction du contexte de la phrase, le rapport entre moi et l’autre, ou les autres, va être exprimé par le recours à certaines formes verbales de politesse qui indiquent à quelle place on se situe par rapport aux autres. Même si on ne parle pas de soi, le je est déjà là dans le rapport à l’autre, en dehors de toute expression par un pronom personnel. »

« Je peux donner un exemple concret : pour dire « je vous parle », on ne va utiliser en japonais ni je, ni vous, on va utiliser le verbe mōshi, qui veut dire parler et un suffixe verbal, ageru, qui indique que l’on est dans une position inférieure et que l’on s’adresse à un supérieur. Dans cette forme verbale sont inclus déjà à la fois le je et le vous, et les rapports entre deux personnes. On pourrait dire, un peu abruptement, que je n’existe pas, que vous n’existe pas, que la seule entité qui existe est simplement le rapport entre moi et vous. »

Leçons de poétique





Dimanche 18 mars 2012, Salon du livre, Porte de Versailles, Paris, 17h-19h. Il y a d’abord ce livre que je suis en train de lire : Journal des jours tremblants, Après Fukushima, précédé de Trois leçons de poétique, de Yoko Towada (traduit de l’allemand par Bernard Banoun et du japonais par Cécile Sakai), éditions Verdier, 2012. Et cette conversation brillante d’une heure, animée par Cécile Sakai (dans le brouhaha grandissant du salon) entre Yoko Tawada et Michel Deguy. Michel Deguy — grand poète et théoricien, il enseignait à Paris 8 —, nous l’avons lu, avant tout La Poésie n’est pas seule, Court traité de poétique, Le Seuil, 1987, en 1988 donc et puis utilisé en 1998 pour trouver le titre L’Image n’est pas seule, de l’exposition inaugurale de la Bibliothèque universitaire de Paris 8 à Saint-Denis. Je photographie la dédicace. L’actualité du Japon et le projet de comprendre ce qui s’y joue comme transformations, m’ont relancé ces derniers temps vers les textes de Philippe Forest. Je lis ses articles dans Art Press et j’ai lu plusieurs de ses livres dont Haikus, etc., Éditions Cécile Defaut, 2008, Araki enfin, Gallimard, 2008 et Sarinagara, Gallimard, 2004. Je vois, sur le stand Gallimard, Sarinagara à côté de Fukushima, Récit d’un désastre, de Michaël Ferrier, Gallimard, 2012, que j’ai également entrepris de lire depuis une semaine. Il n’y a pas de coïncidences hasardeuses. Il y a une concordance, le jeu de la relation porté par les langues — dont précisément ces livres nous parlent comme substance de la poésie.

Article
Libération
, jeudi 15 mars 2012
Sens dessus dessous
par Philippe Forest

Une méditation de Yoko Tawada dans l’après-coup de Fukushima Continuer la lecture de Leçons de poétique

Le monde post-manettes



Samedi 10 mars 2012, 20h, Yverdon, Maison d’Ailleurs, inauguration de l’exposition Play Time sur les jeux vidéo. Parmi les œuvres et les documents, une collection de manettes depuis 1982. La dernière case est vide car elle renvoie à la Kinect, une caméra qui capte les gestes du joueur. « Dans le monde post-manettes, la relation avec votre avatar peut devenir si fluide que sourire avec votre visage et sourire à l’écran constitueront virtuellement la même action » écrit le catalogue. En attendant, Laura, étudiante en design des nouveaux média à Genève, vérifie les vertus ludiques et relationnelles du déguisement.

Puissance décorative de la couleur géométrique



Samedi 10 mars 2012, 16h, musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds. À travers une grande rétrospective, on découvre Claude Loewer (1917-2006), artiste né à la Chaux-de-Fonds. Son abstraction, très géométrique, très colorée, peut le rattacher à l’art concret suisse et à Max Bill. Mais il va positivement vers le décoratif. Ainsi, ses tapisseries, ses céramiques : Prométhée, tapisserie d’Aubusson, 1968; table de céramique, 1971-1972.

Félix Valloton au musée de la Chaux-de-Fonds



Félix Valloton, 1865-1925, Nu à l’écharpe verte, 1914, huile sur toile.


Samedi 10 mars 2012, 16h, musée des Beaux-Arts de la Chaux-de-Fonds, la salle où se trouvent les deux Valloton. Voir les originaux, les regarder de près, et éventuellement les photographier.



Félix Valloton, 1865-1925, Paysage de la Creuse, 1925, huile sur toile.