Dits de restaurant



Mardi 14 novembre 2023, 18h, restaurant Yataiya Karasuma, Kyoto. Son site dit : https://yataiya.jp « Bien qu’il ne s’agisse pas d’un restaurant élégant ou sophistiqué, nous sommes attentifs au goût et au prix, et nous souhaitons accueillir nos clients avec nos plats soigneusement préparés et notre personnel énergique et amical ! Yataiya est un tel endroit ! À l’intérieur de Yataiya, les murs sont remplis d’affiches et de menus. Il y a des gens qui comprennent l’atmosphère nostalgique de l’ère Showa et d’autres non ! C’est une boutique animée ! Grâce à la nourriture, nous rassemblons les gens et leur apportons de l’enthousiasme, des sourires et du bonheur, contribuant ainsi à la création d’une société meilleure. » Ces propos témoignent-ils d’une orientation politique ? L’ambiance est pour nous sympathique.

Une pause tranquille et bien ordonnée



Samedi 11 novembre 2023, 13h, Shinagawa, quartier Higashioi [2 Chome-23-2 Higashioi, Shinagawa City, Tokyo 140-0011, Japon]. Le Café de Lotty, nommé jusque sur les tasses, on le trouve « par hasard, mais avec une enseigne en français » dans une petite rue commerçante avant d’aller à la gare de Tachiaigawa pour prendre la ligne Keikyu qui conduit à la gare de Shinagawa. Après coup, on lit, sur Google Maps, des notes, traduites du japonais : « Il y avait une rue commerçante quand je suis descendu à la gare de Tachiaigawa sur la ligne Keikyu. J’avais faim, alors je suis allé au café Lotty. Il y a des chaises au deuxième étage où vous pouvez manger » ; « Les sandwichs sont composés de pain de grains entiers, de jambon et d’œufs maison soigneusement sélectionnés et qui regorgent de légumes, ce qui les rend très délicieux ! », « Venus de Paris, de Kyoto, nous avons marché 10 km pour trouver le marché aux puces. Alors, avant de prendre le train, nous avons trouvé cette boulangerie avec une très jolie ambiance tranquille au deuxième niveau. » etc. Une certaine perfection dans les détails.

間, ma, un exemple



Jeudi 9 novembre 2023, 11h, Kyoto, Sanjo dori est. La barrière métallique pliante retient l’attention du passant. Elle est un cas des plus parlants de notre définition du motif, universel, des plus anciens, que l’on nomme treillis, pour son caractère génératif, constructiviste, mécanique, 格子文, kashimon, en japonais. Le chapiteau de rideaux rouge et blanc est reconnu aussi. On le trouve, très spécifique au Japon, dans les événements publics, les fêtes, les célébrations. La particularité de ce rideau est qu’un bandeau rouge suspend les barres rouges. Ce motif est donc également une manière de frontière, de barrière, de clôture. Son nom en japonais est 紅白幕, kōhakumaku, qui se traduit simplement « rideau rouge et blanc ». Un troisième mot nous vient : ma, avec son kanji, sinogramme, 間, où l’on voit une porte s’ouvrant sur un soleil. En France, en Occident, le concept de ma a connu, à la fin des années 1970, sous l’effet notamment de Roland Barthes, une surinterprétation qui l’a rangé dans les traditions inventées. Car Ma a désigné avant tout, techniquement, en architecture, un intervalle entre deux poteaux de bois dans une charpente. Il est vrai que, métaphoriquement, il parle d’un intervalle entre deux choses, entre deux moments, deux notes, deux gestes. Mais c’est bien un espace dense et non un vide. Pour cela, les deux objets doivent être distincts, séparés et c’est là qu’intervient efficacement le terme kekkai, 結界, barrière, qui combine lier et distinguer, avec la connotation de relier les mondes de part et d’autre. C’est ainsi que Philippe Bonnin analyse longuement ce mot, pour une « esthétique japonaise de la limite », dans sa préface à la traduction de l’ouvrage de 1966, Keikkai no bi, Ito Teiji, La Beauté du seuil, CNRS Éditions, Paris, 2021, et dans Vocabulaire de la spécialité japonaise, CNRS Éditions, Paris, 2014, pp. 243-246. La clôture, le barreau, le muret, la haie, la palissade, le rideau, le seuil, ont une présence matérielle, tangible, mais « parfois plus symbolique que coercitif ». En toutes circonstances, le kekkai est « un intermédiaire qui permet les échanges ». On retrouve donc le treillis à l’œuvre. En considérant attentivement les marges de l’espace photographié, on découvre d’étroites bandes cimentées. Un sens du mot ma, qui nous est familier au Japon, est le vide très resserré entre les maisons, les immeubles. Ainsi, près de notre logement, à gauche de notre supérette FamilyMart, un passage de moins de 20 cm est habité par de très beaux chats, il connaît une grande intensité. Un mur mitoyen est ici constitué d’un plan vertical vide. Les métadonnées des photos sont très précises. Street View ne permet pas de reconnaître l’endroit, mais, daté de 2022, il apporte une explication : un immeuble d’un étage, blanc, moderne, marqué Haku Taku Dou, Clinique d’acupuncture et d’orthopédie était là, et a donc été démoli. Le kiosque rouge et blanc et ses chaises attendent peut-être un conciliabule ou une cérémonie pour une nouvelle construction.

Attendre (La vie des objets. Ch. 128)



Mardi 25 avril et vendredi 13 janvier 2023, restaurant Sanuyika, rue d’Argenteuil, Paris, 1er. Le 28 août 2012, un billet intitulé « Il voit des haïkus partout » pointait un porte note dans ce même restaurant [http://jlggb.net/blog3/?p=3662]. En l’espace de trois mois, la même scène s’est présentée, devant les carreaux blancs Boulenger caractéristiques du métro parisien. Ces objets savent attendre.

Nommer (La vie des objets. Ch. 123)


Jeudi 23 février 2023, 17h, Allée verte, Aix-les-Bains. Le long du chemin, isolé, l’objet attire l’attention, et pose la question « à quoi je sers ? ». À attirer l’attention justement, d’abord à faire une image. La réponse est dans ses noms : un trait rouge vertical, un segment cylindrique, un tube, un bâton, un piquet, un poteau, un potelet, une borne, un repère, un jalon, un délinéateur, un marqueur, un signal, une balise ?

Rouiller (La vie des objets. Ch. 122)


Vendredi 3 février 2023, 17h, Quai de Bercy, Charenton. Face à la Seine, sur le quai qui est dans le prolongement du quai de Bercy de Paris, là où se trouvait le Port aux Lions, le parking d’un vaste immeuble de bureaux, moderne vieillissant, est fermé par une barrière métallique peinte en bleu. La petite porte a été abandonnée. Elle rouille, rouiller est ce qu’elle accepte depuis plusieurs années pour sa face décorative.