1992 Five Into One/Performance de Matt Mullican

Réalisation : Five Into One/Performance de Matt Mullican, enregistrement d’un performance d’une heure de Matt Mullican explorant son environnement virtuel Five Into One, Paris, 1992. À destination de l’exposition Artifices 2, Saint-Denis, 2002.
Vidéo Beta/DVD.
 
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Matt Mullican, image de Five Into One, environnement virtuel, 1992. © Matt Mullican


Matt Mullican, performance dans Five Into One, 18 septembre 1992, Paris. Photo jlb
 

Revue virtuelle
Numéro 10/11, 6 juillet — 26 septembre 1994
« L’art des jeux »
Carnet
Centre Pompidou, MNAM/CCI

Performance dans Five Into One
Extraits des commentaires prononcés par Matt Mullican pendant sa performance dans Five Into One.

On voit ici un rectangle vert, divisé en plusieurs parties. Au-dessus de l’une des extrémités, il y a un nuage de pyramides, des figures à quatre faces, de différentes couleurs. C’est la représentation des éléments,
en relation avec la matérialité, dans la structure symbolique des cinq mondes de Five Into One.
Voici le premier monde. Cinq cents figures environ flottent au-dessus du sol vert. Toutes ces figures peuvent se déplacer, et former une structure. Les pyramides flottent librement. La surface grise formant l’horizon qui nous entoure est une sorte de repère. Sans elle, on ne saurait plus où on est, on pourrait se perdre. Si l’on pense à n’importe quel objet, ceci pourrait représenter la matérialité de cet objet. On n’a plus que le matériau de l’objet, sans attribut symbolique. C’est une référence à la structure moléculaire.
Je descends très doucement. Nous sommes au-dessus d’un demi-cercle où tout est vert. À l’arrière, une forme de terrain de jeu, vert lui aussi. C’est le monde du matériau.
Nous passons la frontière. Nous sommes dans le monde suivant. Le monde du matériau n’est plus qu’un demi-cercle vide. Maintenant nous sommes sur un champ de formes singulières mais nous sommes dans un monde sans structure. Le monde sans structure est un monde d’éléments : des usines, des entrepôts, des décharges, des raffineries, toutes sortes d’industries basées sur le traitement des matériaux. À côté des usines, il y a un cimetière, un hôpital, une prison. À droite, là où l’on voit des cryptes, c’est le cimetière. Il y a aussi un crématorium où les corps peuvent être brûlés. Cette zone est murée. L’hôpital est en forme de grand H. Au-delà, il y a la prison et des refuges pour les sans-abrI. Ici, le corps est traité comme objet. On peut être soigné à l’hôpital, incarcéré à la prison, passer une nuit dans un refuge, ou être enterré au cimetière. Cette zone concerne le corps transformé en objet, ce qui, de nouveau, se réfère à la matérialité.
Tout droit maintenant. Je vais changer de point de vue. Les couleurs sont importantes : le vert représente les matériaux, le bleu représente le monde, le jaune le monde structuré, le noir et blanc représente le langage et le rouge la subjectivité.
Voici les maisons. Nous allons descendre vers la rue. En se rapprochant de la zone jaune, les maisons deviennent plus grandes. Au premier plan, elles sont groupées par huit, puis par quatre, puis par deux. Enfin, il y a des maisons isolées.
On va descendre. On ne peut entrer que dans la maison qui a un arbre. lI y a une lucarne au-dessus de l’entrée de derrière. Nous entrons. À travers le salon, on peut voir la salle à manger qui est jaune, comme le monde structuré. Le salon est noir et blanc comme le langage. La chambre est peinte en rouge. De cette pièce rouge, on voit les environs, qui sont bleus. Voici la salle de bains. Elle est peinte en vert. Lorsque nous avons conçu la salle de bains, nous n’avons pas eu de problème pour modéliser la baignoire. Par contre, nous n’arrivions pas à obtenir un lavabo qui ait l’air creux. Nous avons fini par comprendre que nous travaillions dans des espaces trop petits. Pour l’ordinateur, la distance entre le haut et le fond du lavabo était trop faible pour qu’il soit possible de les différencier. Tout cela parce que nous sommes partis d’une grande ville et que nous sommes allés jusqu’à des détails de plus en plus fins. Là, si je descends, je suis à la fois dans l’évier et hors de l’évier. Il est difficile de se déplacer dans ce nouveau monde. À côté de cette grande maison, j’ai demandé que l’on place une toute petite plaque dans l’herbe. La voici. Ce signe placé sur le sol symbolise le monde sans structure. Là, on retrouve le même signe que dans l’herbe, en plus grand.
Nous descendons. Nous allons entrer dans le monde structuré qui est symbolisé par cette grande arche. Nous passons dessous. Voici un musée, deux théâtres, un autre musée, et, au-delà, un zoo. Je descends. Sur l’avenue centrale on voit un signe pour le langage, qui est le signe pour le monde suivant. Ce signe fait face aux bâtiments noirs où l’on trouve les médiathèques, les bibliothèques, des structures symboliques d’équipements culturels.
Le sommet du bâtiment du Gouvernement est en forme de cible. lI se réfère au monde subjectif rouge. Le mur qui l’entoure est le mur de l’Histoire. Loin à droite, il y a des bâtiments ronds qui sont des écoles. On a ici une idée de l’Histoire. C’est une espèce de partie subjective de la ville. On descend. On a le signe d’une tête, au fond.
Je m’approche. J’avais ce bâtiment dans mon travail depuis cinq ans, sans pouvoir y pénétrer. On entre. On est à l’intérieur. On regarde en l’air. On retrouve la cible. On redescend. On ressort.
La succession des couleurs, noir, rouge, jaune, bleu, vert, est celle de la structure de la ville tout entière. À droite, la structure est verte, bleue ici, jaune au centre, plus loin noire, et plus loin encore rouge. Quand on passe le mur pour aller dans la zone noire, toute la structure de la ville change, comme quand nous sommes entrés dans le monde sans structure.
Si on traverse ce mur, on entre dans une nouvelle sorte d’espace. On y est. C’est une pièce avec des étagères. C’est le seul endroit où je peux avoir une pièce avec des éléments des cinq mondes. Ce sont des modèles. Ici, je peux stocker le matériau de chacun des cinq mondes, indépendamment du contexte extérieur. La différence entre ces bâtiments et ceux des autres mondes, c’est l’échelle. En dehors de l’échelle et de l’orientation, il n’y a pas de différence entre être dans ce monde-ci ou dans les autres. Lorsqu’on passe un mur entre les mondes, tout ce qui n’est pas le monde dans lequel on est est effacé. Ce n’est qu’ici que ces différents éléments peuvent être exposés ensemble. Par cette porte, on voit le monde que nous avons quitté sous forme d’une surface jaune. Mais si nous ressortons, ce monde retrouve son aspect antérieur. Ce monde est une sorte de musée, une combinaison de musée, de galerie, de réserve. Ou encore une interface qui permet d’avoir des informations sur mes cinq mondes.
Par ce chemin, on passe la porte, on accède au monde suivant qui est le langage. Tout est exclusivement représenté par des surfaces planes. Cette zone est une carte qui décrit les cinq mondes et leurs significations. Par exemple, dans cette section bleue, le signe supérieur représente le monde structuré et chaque signe inférieur un sous-chapitre. En résumé, cette zone est une interface qui permet de contrôler ou de visualiser symboliquement la signification des différentes parties. Toute la zone environnante est noire. En s’élevant, on voit comment elle se situe dans l’ensemble de la structure.
En avançant, nous allons passer du noir au rouge, entrer dans la sphère rouge du monde subjectif. Nous y sommes !
Je peux regarder en haut, en bas, à gauche, tout droit, me déplacer. Ici, il y a un nombre limité de polygones et on peut se déplacer plus rapidement. C’est un très grand espace. On le perçoit par la vitesse à laquelle nous nous déplaçons. On mesure la différence entre un petit espace et un grand par le temps qu’il faut pour le traverser. Par exemple, dans la maison, j’allais si vite qu’il était difficile de contrôler les déplacements. Nous sommes à l’intérieur de la sphère, nous sommes complètement environnés de rouge. C’est le monde subjectif, le monde de la signification sans la substance.
Les gens voient le plan de ma ville comme celui d’une ville idéale du XVIIIe siècle, de Ledoux par exemple. Mais on peut aussi le voir comme un terrain de foot ou de basket, ou comme une structure de jeu vidéo. Ou encore comme un puzzle. La ville permet de séparer les différentes significations comme dans un théâtre de la mémoire. L’ensemble de la structure de la ville est une interface qui permet d’accéder à des informations. En fait, il s’agit moins d’une carte de ma ville que d’une carte considérée comme une ville.

Performance enregistrée à Paris le 18 septembre 1992, pour l’exposition Artifices 2.
Traduction et adaptation : Jean-Louis Boissier