La fraternité (Ch. 17)


Mercredi 13 juillet 2011, 11h, Aix-les-Bains. Dans la cuisine de la rue Isaline, dans le casier de contreplaqué de 15 mm peint, se trouvent désormais rassemblés deux pichets fabriqués et achetés à Cliousclat, Drôme (Voir : http://poteriedecliou.com/, mais c’était avant quelques changements de direction), d’inspiration traditionnelle plus ou moins dauphinoise et savoyarde, qui sont restés quelques années, l’un à Pierrelatte, l’autre à Paris. On remarque la concordance absolue de leur jaune avec l’ocre-jaune de la polychromie « Isaline » (2008).

Changer la vie (Ch. 16)


Jeudi 12 mai 2011. « Changer la vie », c’était un slogan d’il y a 30 ans. Puis il y a eu « la fin des grands récits ». Depuis quelques semaines, la bouteille de lait de Monoprix Bio a changé : le bouchon se visse et se dévisse sans se bloquer ni se mettre en travers. Pour un geste que l’on répète chaque matin, ça change la vie.
— Incidemment : on a pu croire qu’ouvrir le frigo la nuit pour boire du lait directement à la bouteille, c’était la liberté. Puis on a appris que le lait, ce n’était pas si bon que ça pour la santé.
— Ceci est le 401e article de jlggbblog2.


Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre), Nicholas Ray, 1955.

La démocratie (Ch. 15)


Dimanche 27 février 2011, 16h30, 93bis. C’est, une fois encore, dans la succession des mugs que s’observent les lignes de fuite de la vie des objets. Après les tasses ouvertement traditionnelles, la mug en verre de forme contemporaine de Muji avait tenté de prendre le pouvoir. Mais elle s’est révélée fragile à son tour (voir : http://jlggb.net/blog/?p=3185). Depuis, un changement de format s’est imposé : « le lait n’est si bon que ça à la santé », 50 cl, c’est trop, et remplir sa mug à moitié, c’est triste. La tasse dessinée par Fukasawa pour sa marque de Tokyo, Plus Minus Zero, était une bonne candidate dans la catégorie 30 cl. Mais le camarade du « Super Normal », Jasper Morrison, a inscrit en 2008, dans sa ligne économique pour Alessi, un objet très proche; peut-être un peu moins radicalement minimaliste, un peu moins raffiné, mais nettement moins cher (6 euros contre 25 euros en Europe ou 14 euros au Japon). Plus démocratique ? Mais oui ! Et même politiquement correct. C’est ce que revendiquent le producteur Alberto Alessi, comme le designer. Citations :

« Voilà tout ce dont on a besoin pour préparer une belle table tous les jours. J’ai toujours admiré Jasper Morrison pour la cohérence et la modestie avec lesquelles il joue son rôle de designer. Par exemple, il garde à l’esprit cette vérité essentielle : dans les types traditionnels d’articles ménagers, l’évolution s’est presque toujours faite à travers de petites étapes, des changements infimes de forme ou de fonction. Au cours de l’histoire, ces changements ont été apportés par des générations de créateurs souvent anonymes, pour parvenir aux formes et aux fonctions standards que nous connaissons aujourd’hui. Toujours fidèle à cette conviction (récemment théorisée au cours de l’exposition « Super Normal », conçue conjointement avec son ami Naoto Fukasawa), Jasper est devenu l’un des créateurs les plus appréciés de la scène internationale. Avec les assiettes en porcelaine […] et les verres […] qui s’ajoutent aux couverts […] de 2005, Alessi propose pour la première fois dans son catalogue, une offre complète de service de table accessible en « entrée de gamme ». J’emploie volontiers cette dénomination d’entrée de gamme que j’entends comme un titre de mérite. Effectivement le prix de ces articles ménagers est vraiment limité, mais cela n’induit aucune concession sur la qualité du design. Ce projet est une nouvelle contribution de la marque A di Alessi à la démocratisation du design. Comme le dit Jasper « j’aime l’idée qu’un verre à vin accessible à tous soit légèrement plus formel que les autres. De cette manière, il donne à la table l’aspect cérémoniel d’un vrai repas où l’on ne se contente pas seulement de « manger ». J’ajoute que cette recherche de « normalité » anti-glamour confère paradoxalement à ses créations une aura de simplicité sophistiquée qui illustre bien les ambitions de la marque A di Alessi. »

Jasper Morrison, dans un entretien au Figaro en 2009 :

« Mon principe est : pas de gaspillage. J’utilise donc les bons matériaux pour chaque projet, sans exagérer, en éliminant les problèmes liés au recyclage chaque fois que cela est possible. […] Je ne suis pas convaincu qu’il soit possible ou réaliste de produire des objets totalement écologiques, mais la responsabilité du designer est de ne pas gaspiller nos ressources. Les produits doivent donc être durables, à la fois physiquement et visuellement. […] Concevoir des produits qui dureront longtemps et ne se démoderont pas est sans doute plus important. Car même un objet 100 % écologique (en admettant qu’il existe) nécessite d’être emballé et transporté. Alors, s’il doit être renouvelé parce que intrinsèquement, ou du point de vue de son style, il n’est pas ‘durable’, il posera un problème écologique. »


Sur Jasper Morrison, voir : http://jlggb.net/blog/?p=5517
Sur Super Normal, voir : http://jlggb.net/blog/?p=433


Mug Plus Minus Zero de Naoto Fukasawa, 2007. Voir : http://en.plusminuszero.jp/products/gallery/3

Le mimétisme (Ch. 14)


Un album d’images du chocolat Nestlé-Kohler des années 50 (Les Merveilles du monde) comportait ce chapitre : « Le mimétisme chez les animaux ». Il s’agissait plutôt de la façon dont certains animaux se confondent avec leur environnement. Mais nous avons conservé l’expression dans notre lexique de private jokes pour ironiser sur les ressemblances acquises, surtout dans les couples.
Ici, le mimétisme m’est apparu dans l’authentique et insidieuse confusion ressentie à la vue du tube Clinique (correcteur de regard). J’ai vu un Opinel (la main couronnée). Ce rapprochement photographique, prévu depuis des mois, devrait donner une idée de cette impression. Vendredi 17 décembre 2010, 17h, Aix-les-Bains, pour la photo, puis 22h, TGV Aix-Paris, pour le texte.

La disparition (Ch. 13)


Après le 29 septembre 2010, 19h, métro ligne 13, station Place de Clichy, venant de Saint-Denis. La doublure et la poche gauche de ma veste a été coupée par mon voisin de strapontins. Au signal de son collègue, juste avant la fermeture des portes, il est parti avec le iPhone 3Gs. Le lendemain, j’ai passé 3 heures au commissariat central du 11e arrondissement pour raconter cette performance.


Mercredi 8 décembre 2010, 9h30, salle des dépositions du commissariat central du 11e arrondissement. La policière (jeune, accent du Midi, cheveux noirs et courts, yeux très bleus, en uniforme, y compris les rangers de cuir noir) est en train de photocopier la facture du iPhone 4 acheté le 30 septembre pour remplacer le précédent. Cette fois, la performance a eu lieu ligne 2, à Belleville, direction Nation, mardi 7 décembre à 15h05. Au signal de son collègue, juste avant la fermeture des portes, le jeune homme m’a arraché ce téléphone des mains, sans me toucher.


iPhone 3Gs; iPhone 4 (documents Apple Store).

La réparation (Ch. 12)


Mercredi 28 juillet 2010, 23h30. Sur le bureau depuis plus de quatre ans, il vient de la boutique d’antiquités de la Petite Pagode de l’Oie sauvage de Xi’an (en Chine). Un pot de porcelaine ainsi cassé et réparé, avec ses agrafes de fer et ses cicatrices bien visibles, c’est ce qu’il fallait pour permettre de croire, non pas tant à une authenticité forcément opaque, mais tout simplement à une longue vie intéressante.

Le jour de la retraite (Ch.11)


Jeudi 1er juillet 2010, 23h55, 93bis, Paris 11e. Tout ce qui reste de couverts en acier inoxydable IKEA (made in Korea) de la ligne Dragon (designer : Carl-Gustaf Jahnsson) a été sorti pour être mis à gauche, disons à la retraite — ce qui ne signifie pas le renoncement à tout emploi. Le dessin de la fourchette, plus encore celui de la petite cuillère, sont d’une telle simplicité moderne qu’ils auraient dû rejoindre le « Super Normal ». Ce sont LES couverts. Ils portent les marques de 30 ans d’usage quotidien. Ils ont été achetés en effet à l’ouverture du premier IKEA de France, à Bobigny, en 1981.

La nouvelle génération (Ch.10)


Dimanche 30 mai 2010, 22h, 93bis. Dans le chapitre 9, deux pots à crème anglais étaient entrés en scène pour affirmer l’ancienneté (et la permanence ?) du « Super Normal ». Dès le 1er chapitre (4 sept. 2008), un pot (mug) en verre, fabriqué en Chine, avait signifié, sans le dire trop fort, que la vie des objets avait basculé dans le XXIe siècle. On doit se rendre à l’évidence, le « pitcher » (c’est le mot qui nous manquait, qui attaque par surprise; c’est ce qui est inscrit sur l’étiquette Muji : Heatproof Glass Milk Pitcher, Made in China, 125 Ml) rejette dans le XXe siècle, et même avant, le très beau « creamer » de Johnson Bros, par son minimalisme, l’évidence de sa forme et de son matériau, la justesse de ses dimensions. Et aussi sa modernité « globale » et « durable » : fabriqué en grande série, il porte malgré tout des signes du « fait main »; en verre modeste, il se confond dans la cohorte des recyclables.

L’identité (Ch. 9)


Mercredi 21 avril 2010, 93bis. Deux petits pots à crème en faïence anglaise. Rose : h : 65 mm, d : 58 mm. Jaune : h : 80 mm, d : 65 mm. On remarque que la hauteur du petit est égale au diamètre du plus grand. Le hasard des déplacements les a fait se retrouver. On dira creamers : l’un et l’autre « Made in England » par Johnson Bros. Le petit rose (marqué 1/8) a été acheté en Angleterre il y a plus de 20 ans, avec une grosse théière ronde de la même couleur. Le jaune (Goldendawn) vient des puces, il y a quelques années. Ils ont tout de frères ou de sœurs. Dessin d’une perfection rare, ils pourraient s’identifier au « Super Normal » de Morrison et Fukasawa (voir 10 juillet 2008). Appartenance de classe : le peuple. Et pourtant Google les ignore.


Mini Creamer in the Goldendawn pattern by Johnson Brothers

Le nom Johnson Bros est une piste mais ne renvoie que des individus plus sophistiqués, décorés et nobles. Par exemple, l’agence américaine replacements.com, qui compte pourtant plus de 300 000 références avec 861 modèles de creamers Johnson Bros, ne donne rien : ces pots sans nom ne méritent pas d’être remplacés ? Où sont les autres ? L’avis de recherche est lancé. Un nouveau chapitre de la lutte entre identité et singularité vient de s’ouvrir.

Le genre (Ch.7)

sam hecht
Dimanche 20 décembre 2009, Nice-Savoie, Aix-les-Bains. Il était plus facile au petit disque dur, noir, compact et de poche, de rejoindre la balayette blanche, réputée pour sa stabilité, dans son lieu naturel. Leur communauté est visible, mais il faut quand même la mettre en scène. Peut-être par peur du ridicule, cette espèce de meeting a lieu discrètement. Il ne faudra pas s’étonner quand tous les objets de ce genre, plus maniérés que les autres, lanceront quelque chose comme la Design Pride. Plus sérieusement, il est bon de savoir qu’ils sont dessinés par un duo de designers :

kim colin & sam hechtIndustrial Facilities, Kim Colin & Sam Hecht (États-Unis, Grand Bretagne), ont signé le design du disque dur « Little Disk » pour LaCie (Japan Creative Award 2007/08; Industrie Forum Hanover Award 2008; Red Dot Award 2008, Idea Bronze Award 2008) et de la « Toilet Brush » pour Muji.

 

La candidature (Ch.6)

tasse-de-xianDimanche 13 décembre 2009, 9h. On en était là : les mugs Muji s’imposaient, malgré une défaillance (voir jlggbblog 1, « La maladie, 21 mai 2009). La remise en cause est venue d’une circonstance extérieure. Une soirée trop occupée, ou bien la fatigue : le lave-vaisselle n’a pas été lancé. Le matin, une candidate s’est présentée. Retour quelques semaines plus tôt, le 21 octobre 2009 avant midi, dans le bureau du directeur des études de l’Académie des Beaux-Arts de Xi’an. H.D. a passé plusieurs années à Paris. On est familier avec lui. Sa tasse à couvercle, où il tient toujours un thé chaud, a un air de parenté avec la défunte Spode. C’est que les chinoiseries sont retournées en Chine. Pas seulement pour la récente délocalisation de la fabrication de la Spode (voir jlggbblog 1, « La jalousie », 4 septembre 2008), mais il y a plus d’un siècle, par un métissage Orient-Occident des formes et des motifs. La tasse qui est là, de fabrication récente, à une forme cylindrique à grosses cannelures, une anse baroque et ergonomique, un motif « chinois » simplifié et géométrisé, mais elle évoque l’Angleterre, ou l’Autriche, ou la Turquie, aussi bien l’Impératrice Tseu-hi que la Reine Victoria. Elle incarne une idée de La Chine qui a prospéré ailleurs. Elle est en porcelaine épaisse mais amincie au bord, pas en faïence comme la mug Spode mais avec très exactement les mêmes dimensions. Robuste, un peu vulgaire, mais elle a du caractère et de l’élégance. En oubliant son chapeau, elle a fait une très bonne candidate mug, version retour à la tradition. Elle est partie pour Paris.

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Dans le bureau de H.D. à Xi’an, le 21 octobre 2009, un peu avant midi.

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Pour celles et ceux qui voudraient la même : la marque de la tasse à couvercle chinoise, 冠福股份, Guangfu.
logo
La fabrique est dans le Fujian : Fujian Guanfu Modern Co., Ltd.

Le regroupement familial (Ch.5)

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Paris, mercredi 5 août 2009, 22h30.

Tolomeo Micro rouge, la première, a été pendant plusieurs années la seule de son espèce. Elle était arrivée sur une fausse table de nuit à la faveur d’un anniversaire. Puis, sous prétexte de symétrie, une deuxième Tolomeo Micro rouge avait été apportée. Sans le montrer trop, Numéro un ne l’avait pas très bien pris. Elle révéla son point faible, celui de la toute première génération, un pivot d’aluminium trop fin, qui se brisa. Réparée, elle retrouvait sa place, mais des bouleversements se préparaient, les chambres allaient se transformer en bureaux. Numéro deux a fait un stage d’un mois dans une exposition high-tech aux Arts décoratifs. Elle a été beaucoup photographiée, filmée et même dessinée. À son retour, elle avait la grosse tête. L’origine des Tolomeo ne faisait plus mystère pour personne, best-seller absolu autant dans les bureaux que dans les appartements du standard chic. Il est difficile de venir du postmoderne années 80 tout en illustrant le fonctionnalisme moderne. Il faut dire que d’autres Tolomeo, Micro aussi, pour ne pas être trop ostentatoires, mais aluminium, étaient maintenant dans des espaces voisins. Numéro deux s’est retrouvée dans la cuisine, tandis que Numéro un étaient délaissée dans une pièce équivoque. Et puis d’autres Tolomeo Micro Alu trouvaient tout de suite de bonnes places en province. Mais en appliques, est-ce une vie ? Un recours s’imposait alors à Numéro un, rejoindre la cuisine (photo).

Pendant ce temps, la vie de deux petites Luxo, venues de Venise, était véritablement mouvementée. Portent-elles légitimement le nom ? Leurs ancêtres des années 30, fabriquées à Oslo, pourraient-elles reconnaître ces Lilyna italiennes ? Certainement, mais leur lignée semble éteinte (note). Technique d’un autre âge. Pourtant, leur petit-cousin américain a fait la fortune hollywoodienne de son concepteur. Elles ont connu tour à tour un séjour au rez-de-chaussée, dans une ambiance certes plus vivante, mais non sans risques. C’est ce qu’on appelle être cabossé par la vie. Elles viennent de se débarrasser de leurs tags argentés et dorés, mais elles ne triomphent pas. D’ailleurs l’une d’elles ne s’allume plus (photo).

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John Lasseter, Luxo Junior, Pixar, 1986

Oceanic

Demie-sœur de Tolomeo (Artemide), Oceanic (Memphis), par Michele de Lucchi, 1981.

Note : un passge à Venise en septembre 2009 permet de contredire cette impression : on y voit des lampes Luxo et Lilyna (blanches) made in Italy.

La maladie (Ch.4)

mug_muji_reducMug Muji, septembre 2008.

Diagnostic : « Lésion consistant en une solution de continuité complète ou incomplète avec ou sans déplacement des fragments. » Il y a traumatisme, fracture. Mais la cause peut être interne, alors c’est perçu comme plus grave, incurable. Jusqu’où ira la maladie ? Ce qui est fâcheux, c’est qu’on ne sait pas comment c’est venu.
La roue tourne, ainsi va la vie des mugs. Il n’y a pas si longtemps, elle triomphait modestement (voir « La jalousie »). Le problème, c’est qu’il a fallu que deux de sa famille viennent s’ajouter. Elle aurait pu rester la perle rare de la transparence minimaliste et du « Super Normal ». Et puis on ne l’a plus distinguée. On a fini par dire qu’elles venaient de Chine, qu’elles se ressemblaient toutes, qu’elles étaient fragiles. D’ailleurs, c’est laquelle qui est malade ?

mugmalade
Jeudi 21 mai 2009, vers 13h30.

L’âge (Ch.3)

eponge-epingles
À Rosny-sous-Bois, rue Newton, 9e étage, Étienne a assemblé cet objet dont on a compris (dont il a dit — il parlait à peine) que c’était un gâteau d’anniversaire. Il devait avoir deux ou trois ans. L’œuvre est fragile mais elle a constamment été exposée depuis, sur diverses étagères. L’éponge (pour ardoise d’enfant) s’est légèrement rétrécie, elle a bruni, elle a perdu de sa souplesse. Les épingles sont toujours restées à leur place d’origine, elles ont un peu rouillé. Photographie du lundi 18 mai 2009 à 13h30.
Remarques : on pourrait encore chercher à savoir de cet objet si l’acupuncture lui fait du bien et si on ne l’accuse pas de pratiquer l’envoûtement.

La dépression (Ch.2)


Vendredi 13 février 2009. Cette fois, c’est la mug Cornish Blue qui est retrouvée brisée. L’usure du temps, certes. Mais, ce vendredi 13, il faut comprendre ce qui peut pousser à bout une mug.
Les faïences Cornish Blue ont été fabriquées depuis 1926 par TG Green & Company à Church Gresley, Derbyshire, Angleterre. Le nom Cornish Blue se réfère aux couleurs du sud de l’Angleterre, pas à la région de fabrication. Les bandes blanches s’obtiennent par découpe et décollement de la couche bleue, avant glaçure. Dans les années 60, la fabrication traditionnelle avait été modernisée par la designeuse Judith Onions. La tasse ici cassée fait partie de cette série. Mais la fabrique victorienne n’a cessé de décliner. Vendue par la famille Green en 1964, elle a fait faillite en 2007. Puis, le patron de la firme d’ustensiles de cuisine Chomette, Charles Rickards, associé au consultant en design et en marketing Haydn Perry Taylor, dont l’épouse Vik est une fervente collectionneuse de Cornishware, ont repris la ligne classique aux bandes bleu et blanc. Depuis octobre 2008, elle est de nouveau vendue, fabriquée désormais en Chine « to the same high standards as ever ». Cet aveu de la Chine est ici, mais pas .

On l’a vu au chapitre précédent (La jalousie), la mug de Spode, elle aussi un classique anglais, est maintenant fabriquée (très mal) en Chine.

En 2009, TG Green ouvre une poterie artisanale dans sa maison traditionnelle de Derbyshire pour créer, en édition limitée, de nouvelles pièces au nouveau design.
Mais c’est dans l’environnement social qu’il faut chercher les vraies raisons de la dépression. Porté par le bon goût des nouveaux moyens-riches, le regain des valeurs sûres d’une tradition confortée par un design et un commerce choisis (les années 80, Conran, Habitat) s’est dispersé : retour nostalgique aux racines paysannes et nationales (poterie de Cliousclat « savoyarde »), création branchée connotant la petite série semi-industrielle (chopes Assoiffé de Tsé-Tsé en porcelaine de Limoges un peu grise), modernisme exotique chic (gobelets à soba japonais) — et la mug en verre minimaliste « super-normale » de Muji n’est même pas dans le champ.

La jalousie (Ch.1)

Le constat a eu lieu en ouvrant le lave-vaisselle : la tasse anglaise s’est brisée cette nuit. La coïncidence ne peut pas être sans signification : c’est hier qu’était arrivée une tasse neuve en verre, destinée à la remplacer dans l’usage du petit-déjeuner. Observée de près, comme cela n’avait pas été le cas il est vrai depuis des années de fréquentation quotidienne, la faïence a des fissures, de très fines lignes verticales. Les inscriptions « Dishwasher Safe » et « Microwave Safe » entourent la marque Spode. Pourtant elle était trop brulante après trois minutes au micro-ondes pour porter le lait sortant du frigo à une tiédeur relative. Cette (ou ce) mug (grosse tasse cylindrique, avec anse, utilisée sans soucoupe dit Wikipedia) était en passe de n’être plus la favorite (retour de vacances, septembre). La fréquentation obsessionnelle des magasins Muji a fait son œuvre. Certains objets ne méritaient pas un regard et puis en voilà un qui est élu : une mug qui contient sans en avoir l’air un demi-litre, comme l’autre. Une forme transparence et rationnelle. Retour du moderne sans complexe après une vingtaine d’années de post-moderne teinté de rousseauisme.


Vient de Londres, magasin Blue China ? Années 90. Le dessin est sous la glaçure, ce qui est une grande qualité. Scène gravée avec en haut une frise chinoise (nuage, grenade, lotus, chrysanthème, etc.) et en bas une scène champêtre et les fausses ruines d’un jardin anglo-chinois. Made in England, Italian, Spode Design, C. 1816. (À voir : « The central scene is thought to be ruins near Rome. » et, maintenant, « Made in Asia, designed in England. »)

Spode Blue Italian 0.5 Ltr mug
Usual Price: £11.91


Achetée chez Muji (magasin des Ternes) le mardi 2 septembre 2008. Muji, pas de marque apparente, pas de designer, dit-on. C’est bien sûr une fable qui cache tout le contraire. Enquête à suivre.

Muji Mug en verre 500 ml
6.00 €

Épilogue provisoire, en date du 21 mai 2009 (voir Vie des objets, chapitre 4): il n’y aura pas de happy end