Dimanche 31 juillet 2022, 18h, place des Antilles, Paris, 11e. Il est porté, il est en partie masqué, il est situé. Le rassemblement festif et militant aide à comprendre : « Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».
Vendredi 29 juillet 2022, 20h, Paris. Dans la cuisine le meuble va soutenir un plan de travail et une plaque chauffante. La plaque chauffera aussi dessous et il faut prévenir une haute température de la planche qui lui est dessous. La profondeur de 48 cm se prête à une division par 6, il y aura 5 percements, de 27 mm de diamètre dans une épaisseur de 18 mm. Instagram reçoit cet objet sous le titre « Contre un réchauffement ».
Jeudi 31 mars 2022, 11h45, avenue Franklin Roosevelt, Aix-les-Bains. Dans ce magasin professionnel de fournitures du bâtiment, pour une vanne de conduite PVC à monter dans un bassin de décantation d’atelier de céramique, une image, une couleur, soulignent un nom : Barnier. Ce nom fait naître dans l’instant une sensation doucereuse. Il y a 70 ans, une telle sensation venait d’une odeur incertaine, associant écœurement et mélancolie. On disait, « ça me tape sur le système », c’est Barnier, c’est le vent du midi. On était dans la cour de l’école annexe de l’École normale d’instituteurs de Valence et on savait que l’usine qui longeait le mur fabriquait de chatterton, du ruban isolant. https://www.barnierpro.com/barnier-marque/histoire
Jeudi 3 mars 2022, 17h30, rue des Panoyaux, Paris, 20e. L’activisme féministe de nouvelle génération a trouvé une façon remarquable. Chaque lettre des mots à coller sur le mur occupe sa feuille. Elle est tracée au pinceau large, à la peinture-encre noire, d’un geste énergique et sûr, qui va résister à l’arrachement. Pour agir les mots doivent être dits, c’est bien ici une façon de les dire.
Mardi 2 février 2022, 16h30, Aix-les-Bains. Il est apparu sur le terrain Terrier, à Chindrieux. Pas une fouille, pas vraiment une recherche, mais une attention a fait reconnaître un fragment. Un pan scié, le clou, la trace d’un autre fer, indiquent un assemblage, une construction, une clôture, plus probablement un piquet de vigne, un piquet de tête, un amarrage. Les terrasses étaient un vignoble ; ça, on le sait.
Mardi 1er février 2022, 15h, Aix-les-Bains. Un moment d’enfance n’a cessé de se répéter, avec une même image prononçable, prononcée par jeu : « ocasin — ocasin ». Inscription de céramique, référence désormais absolue. Le modèle savant, rencontré dans ses citations répétées, est “A rose is a rose is a rose”, de Gertrude Stein, d’un poème de 1913 où il est dit : “Rose is a rose is a rose is a rose”. La chose est identique à elle-même, attachée à ses archétypes, à ses représentations répétées infiniment par le langage. Il y aura une suite de citations et de prolongements : “she would carve on the tree Rose is a Rose is a Rose is a Rose is a Rose until it went all the way around.” (The World is Round) ; “The sentence was heavily promoted by Stein’s life partner Alice B. Toklas ; for example, she sold plates with the sentence going all the way around.” William Burroughs wrote a linguistic variant: “the word for word is word.” Dans le jlggbblog3, le 1er octobre 2012, il est question du catalogue Frank Popper KunstLichtKunst, 1966, du titre écrit sur la couverture en quart de cercle : KunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunst, http://jlggb.net/blog3/?p=3944.
Dimanche 16 janvier 2022, 11h, Aix-les-Bains. Il fut remarqué dans un hôtel de Lausanne, il y a quelques mois. Chez Duralex on connaît la compétition entre le Gigogne de 1946 et le Picardie de 1954. L’ordinaire, le populaire, l’historique irremplaçable, la modernité revendiquée ou nostalgique, ce jeu peut être aussi une position du luxe, du snob, du design Super Normal. On a connu des gobelets qui rebondissaient sur le carrelage, certains qui explosaient en petits fragments cubiques. Celui-ci a simplement glissé dans le lavabo — il faisait verre à dent — et il s’est cassé en révélant qu’il n’était peut-être pas en verre trempé. Un verre Universel, c’est son nom, avait le numéro 1. Il laisse la place au 1 bis.
Lundi 3 janvier 2022, 12h, Paris. À la faveur d’un déménagement de bibliothèque, Le parti pris des choses est réapparu. 1967, la date de son acquisition écrite sur la première page est celle de l’intérêt porté à ce titre dans l’esprit d’une expérience de la photographie sans doute. Alors nouvelle forme du livre, ce format de poche — superbe maquette de Massin— se distinguait par le film brillant de sa couverture. 55 ans après, ce film s’est retiré de quelque 2 ou 3 millimètres. Page 165, il est imprimé :
RESSOURCES NAÏVES
L’esprit, dont on peut dire qu’il s’abîme d’abord aux choses (qui ne sont que riens) dans leur contemplation, renaît, par la nomination de leurs qualités, telles que lorsqu’au lieu de lui ce sont elles qui les proposent.
Hors de ma fausse personne c’est aux objets, aux choses du temps que je rapporte mon bonheur lorsque l’attention que je leur porte les forme dans mon esprit comme des compos de qualités, de façons-de-se-comporter propres à chacun d’eux, fort inattendus, sans aucun rapport avec nos propres façons de nous comporter jusqu’à eux. Alors, ô vertus, ô modèles possibles-tout-à-coup, que je vais découvrir, où l’esprit tout nouvellement s’exerce et s’adore.
1927.
Ce pourrait être le discernement d’une raison première de notre « vie des objets ».
Lundi 27 septembre 2021, 14h30, Aix-les-Bains. Le bois peut tomber, il peut casser. Le tableau dit Les Charbonniers ou Les Boissiers, de 1892, trouvé aux puces de la Porte de Montreuil en 1985, est resté ici au mur pendant plus d’un an ; collé au mur par un ruban double face, il est tombé une nuit sur la table de nuit en la perçant de l’un de ses angles. Le bois de ce meuble Muji s’est révélé un plaqué sur une structure de quasi-carton. La photographie If centenaire du Temple du ciel à Pékin, de 1985, dans cet unique tirage selon le procédé Fresson, que j’avais offert à mon père qui l’encadra, a vu l’un de ses anneaux s’arracher ; il est tombé très verticalement en cassant un bord d’un plateau lui aussi rangé verticalement au pied du mur. En contreplaqué moulé, ce bel objet hérité, de style danois, avait précisément été choisi par mon père lors de son séjour parisien des années 1947 et 1948. On constate que ces histoires se sont rassemblées dans la même image.
Lundi 20 septembre 2021, des archives. Thermor, Calor, Husqvarna, les appareils pour la maison ont un charme assuré autant par leurs noms, leurs dessins, leurs matières ou leurs couleurs que par leur utilité persistante. Leur usage conteste leur désuétude en entraînant vers des gestes du passé. En vérité, le temps de leur veille en réserve a largement dépassé la durée de leur première existence en fonction.
Samedi 21 août 2021, 19h, Pizza Hot, avenue du Général de Gaulle, Faubourg de Marseille, Pierrelatte, Drôme. Il y a d’abord ce propos de l’artiste Mark Manders : « Le dernier beau moment de l’histoire de la tasse fut lorsqu’on lui donna une oreille. Après cela, il ne s’est rien passé de vraiment intéressant avec les tasses, juste de petites variations. De nombreuses générations y ont travaillé, et maintenant on peut dire que la tasse est achevée en termes d’évolution. » Il dit, en anglais, cup. Mais cup est autant tasse que gobelet. La tasse, avec une anse, souvent maniérée, reste marquée par son histoire européenne. La coupe, ou le gobelet, sait avoir une ou deux oreilles dès le néolithique. Le gobelet demeure le récipient le plus répandu et vivace dans sa variété. La preuve : il sait se déguiser en tasse. Atlas du gobelet : A cup disguised as a cup.
Dimanche 8 août 2021, 19h29, place de la Nation, Paris. Dans l’autobus 57, emprunté à la gare de Lyon, deux jeunes filles me proposent, avec insistance, par signes, une place assise. Je dis que je ne vais pas loin. Elles se lèvent et je m’assieds. L’une d’elles, un peu plus tard, s’assied de nouveau, à côté de moi. Je descends à Nation et je vois que mon sac est ouvert et que mon portefeuille manque. Alors que l’autobus repart, je frappe à la porte et le conducteur m’ouvre. Je vais rapidement vers les jeunes filles, je les regarde en prononçant nettement, dans mon masque : « Mon portefeuille ». Celle de la vitre s’écarte légèrement, l’objet noir est là sur le siège, elle me le tend. Je ne dis rien, je sors mon iPhone, je les prends en photo et en même temps j’appuie sur le bouton d’arrêt, je descends : expérience assez rare d’un « temps réel » où la réflexion, la perception et l’action se superposent exactement ; satisfaction d’une prise de vue « parfaitement cadrée ».
Lundi 12 juillet 2021, 22h, Aix-les-Bains. Un hôtel à l’abandon depuis des années, Le Continental, est repris par une coopérative qui vend des produits bios et qui va ouvrir un café-restaurant. Pour cultiver la clientèle, une visite des travaux est proposée. Ayant à l’esprit une collecte des duos sucrier crémier, j’aperçois un pot à lait en porcelaine que je pense connaître. On me l’offre, il a bien l’inscription Colditz, Made in GDR. Le service pour l’hôtellerie nommé Rationell a été dessiné par Margarete Jahny et Erich Müller au début des années 1970. Sur une ligne qui se réclame plus ou moins ouvertement du Bauhaus, les pièces sont fonctionnelles : utilisables d’une seule main, bec verseur sans gouttes, empilement et agencements possibles, couvercle retenu, etc. Au début des années 90, dans le train vers Karlsruhe ou, plus loin, vers Linz, on a aimé les wagons-restaurants Mitropa, qui avaient été une exclusivité de la RDA. La vaisselle était cette Rationell, avec notamment l’emblématique petite verseuse, la Kännchen. Mon pot à lait n’est pas retrouvé sur les sites de brocante en ligne, mais le plus petit s’y trouve, et avec la marque Mitropa. Coïncidence significative : l’affiche et le catalogue de l’exposition qui vient d’ouvrir à Bâle, chez Vitra, « Deutsches Design 1949-1989, Zwei Länder, eine Geschichte », présente la serveuse Mitropa comme modèle historique du design d’Allemagne de l’Est.
Vendredi 14 mai 2021, 19h45, des archives. Une patère d’aluminium a attendu. Avec trois autres de la même famille mais plus simples, elle a été acquise dans la majestueuse quincaillerie du centre de Berne. C’était en 1973, le besoin existait, d’utilité et de collection. Elle a déménagé, a été rangée et plusieurs fois ressortie. Elle vient d’être vissée à une porte fraîchement peinte.
Mercredi 24 février 2021, 18h, Aix-les-Bains. Rue de Genève, L’Art de la table, ce magasin d’orfèvrerie et porcelaine, de cadeaux, s’ouvrait aussi avant sur la place Carnot. Mais il est atteint, il se vide, comme son vendeur et propriétaire, solitaire à demi paralysé. Dans la poussière d’une annexe étriquée de la vitrine, ils sont deux identiques, ils ne se montrent pas tout de suite, mais sortent. La densité de leur pied impulse sa transparence vers les capacités d’un vide.
Dimanche 31 janvier 2021, 19h30, Aix-les-Bains. Un simple reste, trois choux de Bruxelles, dans une assiette au bel anneau bleu, une assiette à dessert Villeroy & Boch — Mettlach, Made in France-Saar Economic Union — de la série Orléans, devait être réchauffé. Le micro-ondes est mordant, il lui faut de l’eau, il n’y en avait pas. Elle venait, avec cinq autres, des puces de Plainpalais à Genève, en août 2019. Pour 4 euros, une remplaçante a été trouvée sur eBay. Elle arrivera dans moins d’une semaine de La Charité sur Loire, dans la Nièvre. Mérites du vintage.
Dimanche 31 janvier 2021, midi, avenue du Grand Port, Aix-les-Bains. Au bas des piliers ou des pilastres, du portail ou de la porte cochère, ils furent là pour les protéger des roues. Puis ils sont devenus les protecteurs des carrosseries, en s’alliant aux pneus. Ils suppléent à la vue. Par la coalition de ses couleurs successives, celui-ci trouve le moyen d’accrocher le regard du passant et fait sortir son nom de l’oubli : chasse-roue.
Mercredi 27 janvier 2021, 10h, Nice-Savoie. Des cookies ont œuvré et ont glissé, dans une actualité tellement suivie qu’il ne s’y passait rien, une apparition qui s’est installée comme une évidence à satisfaire. « Mon compte » a été créé discrètement mais le modèle manquait en 40, largeur normale. C’était l’année dernière. Le 4 janvier, un message est arrivé : « Dépêchez-vous : il se peut que l’article soit de nouveau rapidement épuisé. » C’est la marque qui parle, qui fait tout, qui dessine, fabrique et envoie. Elle a dit : « expédiées sous 3 à 6 jours ouvrables ». Ensuite elle a affiché un « suivi » : jan 5, 2021, 12:55, ready for shipping Arvato Supply Chain Solutions, Marler Str. 181, 46282 Dorsten, Allemagne / jan 5, 2021, 13:08, EDI received by carrier Plateforme ColiPoste Erstein, 6 rue Ettore Bugatti 67150 Erstein / jan 5, 2021, 13:08, manifested / jan 7, 2021, 06:42, in transit Douvrin PFC, rue de Bruxelles, 62138 Douvrin / jan 8, 2021, 15:15, in transit La Buissière Alpes Poncharra PFC, Renevier, 38530 La Buissière / jan 8, 2021, 20:12, dropped off at service point Plate-forme de Distribution Courrier d’Annecy, 6 passage du Thiou, 74000 Annecy / jan 9, 2021, 07:06, out for delivery Annecy PDC1 / jan 9, 2021, 11:53, delivered. Safari avait joué un mauvais tour, au moment de payer, son AI avait donné sans la montrer une adresse de livraison précédente. Le 9 janvier de 14:30 à 17:00, la Toyota iQ a fait un aller et retour, 80 km. Elles ont attendu 18 jours, jusqu’à poser pour la photo, avant d’aller marcher, enfin, aujourd’hui.
Voir un précédent : « Équilibre », 14 juin 2014, http://jlggb.net/blog4/?p=1293