Retoucher (Vie des objets. Ch. 83)



Vendredi 1er novembre 2019, 24h, Aix les Bains. Un polaroïd est marqué au dos : « Valence, le 30 XII 1972 ». Il ne fut jamais clair et lisible. Pourtant les sujets savaient que cette photographie instantanée au flash avait été prise pour être le moment d’une présentation. Aujourd’hui, durant cinq heures, le rectangle de 82 x 85 mm, scanné, a été retouché par l’effacement, une par une, de plusieurs milliers de taches et rayures, et encore éclairci et ravivé.

L’effet Marianne


Mercredi 18 septembre 2019, 13h, Bauhaus, Dessau. Plusieurs photographies par Marianne Brandt, autoportraits dans une sphère miroir, dans le bâtiment où nous nous trouvons, sont connues dès qu’on approche l’histoire du Bauhaus. Artiste dans plusieurs directions, peintre, photographe, elle allait, en succédant à László Moholy-Nagy, briller par ses lampes et par ses ustensiles métalliques, édités aujourd’hui encore.

Rassemblement universel pour la paix




Vendredi 15 février 2019, 11h30, Bruxelles, Le Heysel. En septembre 1936, l’année suivant l’exposition universelle de 1935 qui a vu la construction du Palais du Centenaire, quatre très jeunes institutrices de la Drôme se sont rendues ici au Rassemblement universel pour la paix. Au dos de la photographie il est écrit : « Devant le palais du Centenaire le jour du défilé des délégations ». C’est le jeudi 3 septembre 1936. Une autre inscription, de l’écriture de mon père, Émile : « tri le 12-4-82 Emma fait le salut du Front populaire ». Photo unique, c’est sans doute pour cela qu’elle n’est pas collée dans l’album consacré à ma mère, Emma. C’est Yvette qui prend Emma, Louisette et Marguerite. Surprise par le geste du poing levé, elle déclenche sans prendre le temps de redresser l’appareil. Aujourd’hui, après tant de guerres et de génocides, le palais est un centre d’expositions commerciales, inaccessible quand il est en montage.

Son portrait


Lundi 17 septembre 2018, 01h, 93bis. Le 17 septembre est son anniversaire. Au tout début de l’année 1961, nous faisons en famille une promenade depuis Valence, dans le Vercors, au-dessus de Léoncel, en direction du Col de la Bataille, dans la forêt de l’Echaillon. Elle écoute un oiseau et reste car elle sait que je fais d’elle un portrait. Lorsque cette photo fut développée et agrandie, je fus heureux de sa réussite et elle me resta en mémoire comme un commencement conforté par ma mère. J’inaugurais un appareil photo qui marquait ma volonté d’être photographe, un 24×36 reflex à objectif interchangeable, Ihagee Exa II, fabriqué à Dresde, acheté avec ce que j’avais gagné en travaillant deux années de suite pendant les vacances dans le laboratoire de Michel Sarles. Voir « Fragment autobiographique n°1 » http://jlggb.net/blog4/?p=455

La profondeur de champ


Jeudi 2 août 2018, 14h, rue de la Plaine, Paris 20e. La technique de la prise de vue, de l’appareil photo, de la caméra, a fait connaître cette dimension optique qui se nomme profondeur de champ. Il s’agit de la zone, dans l’espace que saisit l’objectif, dont l’image réelle, sur la pellicule — sur le capteur électronique — est également nette. Ainsi, une focale longue donne une faible profondeur de champ et appelle donc un réglage de la mise au point sur le sujet retenu. Aujourd’hui, les appareils, ici un iPhone, ont un objectif minuscule, de très grand angle, une sensibilité très grande et donc un diaphragme très petit. Ils donnent le plus souvent une profondeur très grande. C’est pourquoi la qualité d’une profondeur de champ est vendue désormais pour l’inverse, pour sa façon de faire ressortir la netteté d’un visage dans le flou du décor. Mon nombre favori, photographié de très près, dans une lumière pas trop intense, s’approprie ainsi la netteté.

Négatifs de 1968



Dimanche 13 mai 2018, 22h, 93bis. DES ARCHIVES / 50 ANS, négatifs. Février 1968, en voiture — une Citroën Traction Avant 11B —, sur les voies rapides neuves au sud de Grenoble. S’en remettre, pour produire des photos, à un véhicule en mouvement. Je connais Walker Evans, mais pas encore ses photos prises de trains et de voitures. Je sais qu’un art conceptuel apparaît en Amérique, mais je ne vois pas encore Edward Ruscha — “an extension of the readymade in photographic form” — ou Dan Graham. La question des précédents interfère pourtant avec mes ambitions artistiques.

Photo 1 et photo 2



Lundi 5 mars 2018, 23h, 93bis. Des archives : deux photos successives, marquées 1 et 2, des deux classes de garçons réunies de l’école de Saint Laurent en Royans, Drôme, prises au printemps 1947 par le photographe Studio Moderne Art Photo, E. Rebattet, Châteauneuf de Galaure, Drôme. Ma mère Emma et mon père Émile sont les instituteurs. Je figure là à l’âge de deux ans. Longtemps, j’ai trouvé les visages sévères, mais la deuxième image, retrouvée récemment, montre des sourires. Elle fait alors ressortir la première comme plus sérieuse, plus conforme à ce que devait être une photo de classe.

L’abyme du manque


Vendredi 22 décembre 2017, 15h, Apple Store Saint-Germain, Paris 6e. Le iPhone dernier cri est en démonstration. Avec lui on va photographier son support antivol puis le reposer alors qu’il affiche cette image. Le procédé de « la mise en abîme » s’est aussi nommé « la boîte de camembert » ou « la vache qui rit ». Sauf qu’ici, puisque l’appareil manque, la répétition ne va pas dans la profondeur mais semble revenir sans cesse à son début.