Samedi 28 décembre 2013, 16h40, musée Guimet, Paris, 16e. L’exposition Angkor : Naissance d’un mythe — Louis Delaporte et le Cambodge repose en grande partie sur des moulages réalisés entre les années 1870 et la fin des années 1920. Par une coïncidence admirable, les moulages originaux étaient stockés depuis fort longtemps, et peut-être oubliés, dans les caves de l’abbaye de Saint-Riquier où nous avons fait l’exposition « leurs lumières » à l’automne 2012 (voir, 9 novembre 2012 : http://jlggb.net/blog3/?p=4318). Nous avons donc assisté aux opérations de sauvetage et de déménagement, et cela à quelques semaines de ma visite au Cambodge et aux temples d’Angkor. La question est devenue d’une grande actualité historique : à qui appartient le patrimoine de tel peuple, de telle région, de tel pays ? Le cartel de ce dieu-cheval dit :
Visnu Hayagriva. Groupe nord de Sambor Prei Kuk (province de Kompong Thom). Style de Pré Rup, 3e quart du Xe siècle. Don Adhémard Leclère au Musée indochinois du Trocadéro, 1896. Grès.
Musée national des arts asiatiques — Guimet, MG 18099.
Bien mal connues à l’époque de leur entrée dans les collections françaises, certaines des pièces originales qui ont progressivement pris place au Musée indochinois du Trocadéro apparaissent aujourd’hui comme des œuvres phares de l’art khmer angkorien en raison de leur intérêt stylistique et iconographique. Cette étonnante image de Visnu Hayagriva (« au cou de cheval ») — l’un des aspects hybrides de la divinité — appartient à une série iconographique dont peu d’exemples sont connus par ailleurs dans l’art khmer.
Le vol, en 1923, puis la restitution de sculptures à Banteay Srei : on attribue parfois à ce geste de Malraux, révolutionnaire et anticolonialiste, la vertu d’une prise de conscience de la protection et de la restauration des monuments (voir, 6 janvier 2013 : http://jlggb.net/blog3/?p=4938). L’École française d’Extrême-Orient a eu et a encore un rôle considérable dans ce sens (voir ici). Comme le peuple cambodgien, les sites historiques ont connu des vicissitudes tragiques et inimaginables. Le vol des sculptures khmères a continué au moment où on les croyait enfin protégées. En 2001, l’UNESCO a encouragé des mesures de protection et de restitution (voir ici). Très récemment, le 12 décembre 2013, par un jugement à New York, une œuvre volée au temple de Prasat Chen à Koh Ker, qui avait été vendue par Sotheby’s, doit être rendue au Cambodge, peu de temps après la restitution, par le Metropolitan Museum de New York, de deux statues provenant du même temple.
Fin 2013, à Paris, place d’Iéna, la tête de cheval couronnée se moque bien d’être « étonnante ». Elle existe pour elle-même. On lui trouve le regard et l’expression de ceux qui ont appris à toiser leurs gardiens.