La puissance de la parole

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Samedi 22 août 2015, 14h30, Passage Saint-Pierre Amelot, Paris 11e. Dans ce quartier qui fut très occupé par la Poste, ce très intéressant bâtiment de figures de béton moulé, années 70. C’est un siège de la direction d’Orange. Je revois le titre du court-métrage que donna Godard en 1988 à France-télécom, La Puissance de la parole, librement inspiré de la nouvelle d’Edgar Poe.

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Mardi 11 août, 11h, Paris. Le livreur s’est présenté une deuxième fois, il a accompagné son arrivée à la porte par une conversation au smartphone. La géolocalisation du destinataire intermédiaire a été efficace, le voyage FedEx par avion aussi. On a pu le suivre sur le Net. Le livre a été produit sous Indisign et exporté en un Pdf spécial pour Blurb. Blurb, situé à San Francisco — mais peut-être l’imprimerie était cette fois aux Pays Bas — n’est pas seulement une cyber-entreprise et une imprimerie, c’est d’abord une usine d’emballage. Voir : https://vimeo.com/30056771

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Crassula ubiquiste
Livre, 200 pages
Version pdf : Crassula ubiquiste
Version papier à commander chez Blurb : http://www.blurb.com/b/5706690-crassula-ubiquiste

De la bibliothèque : Roland Barthes par Roland Barthes

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Dimanche 8 février 2015, 23h50, 93bis. Roland Barthes par Roland Barthes, éditions du Seuil, exemplaire personnel, édition originale de 1975. Page 187, un « dessin-graffiti » légendé « La graphie pour rien… ». Page 189, une « signature-graffiti » légendée « … ou le signifiant sans signifié. » La couverture présente, pour l’une des premières fois, un de ses dessins, aux crayons de couleurs. Sur à peu près 700, 385 dessins de Barthes sont à la Bibliothèque nationale depuis 2010. Voir : BnF. Graphie pour rien, graphisme illisible, exaltation du pur signifiant dit Tiphaine Samoyault. « Une écriture n’a pas besoin d’être « lisible » pour être pleinement une écriture. » écrit R.B. dans « Variations sur l’écriture » (Œuvres complètes IV, p.284). Il dit qu’il dessine en amateur, généralement le dimanche, au réveil. Nous avons eu, en avril 1999 à Kyoto, dans la maison de thé historique Omotesenke, l’honneur de voir, pour notre cérémonie, dans le tokonoma, la petite alcôve où est toujours accrochée une calligraphie, le dessin que Roland Barthes donna lors de sa visite. Car c’est bien le Japon qui devait l’inciter à dessiner de la sorte. Il en parle dans l’autre livre-album fétiche qu’est L’Empire des signes, Skira, 1970, y compris à travers le haïku : « Tout en étant intelligible, le haïku ne veut rien dire » (p.89).

barthes servandoni portail
Retour au samedi 24 janvier 2015, 17h, 11 rue Servandoni, Paris, 6e, où habitait Roland Barthes. Voir : http://jlggb.net/blog4/?p=2571. Sur le bas du portail, un dessin gravé dans la peinture noire. Le réseau de griffures se prête sans équivoque à la reproduction car il est lui-même une trace, une empreinte. On est aujourd’hui revenu — à l’excès selon moi — de l’assimilation exclusive, des années 80, de la photographie à l’indice. Pourtant, Barthes le dit dans La chambre claire, « la Photographie est plate, dans tous les sens du mot. » (p.164). Voir : http://jlggb.net/blog2/?p=4485. Alors, le paradoxe apparent, c’est que le « dessin » du portail est largement lisible et qu’il nous raconte toute une histoire de vélos, de valises, de semelles qui ont tracé leurs passages.

 

Le shifter comme utopie

barthes BB
roland barthes tiphaine samoyault
Samedi 24 janvier 2015, 17h, Paris, 6e. Il y a une semaine, Tiphaine m’a dédicacé son livre, qui fait événement, Roland Barthes, biographie au Seuil, 720 pages, 15 x 24 cm. Elle écrit « qui a connu » car je lui ai dit qu’en 1966 ou 1967, logeant au 11 rue Servandoni chez Annie P. et Boris P., — amis de mon ami Hervé B. —, j’avais croisé R.B. sous le porche. Il habitait au dernier étage de l’escalier B. Après 1975, lisant Roland Barthes par Roland Barthes, je fus retenu définitivement par ce passage, pages 168 et 169 :

Le shifter comme utopie

Il reçoit une carte lointaine d’un ami : « Lundi, Je rentre demain. Jean-Louis. »
Tel Jourdain et sa prose fameuse (scène au demeurant assez poujadiste), il s’émerveille de découvrir dans un énoncé aussi simple la trace des opérateurs doubles, analysés par Jakobson. Car si Jean-Louis sait parfaitement qui il est et quel jour il écrit, son message, parvenu jusqu’à moi, est tout à fait incertain : quel lundi ? quel Jean-Louis ?  comment le saurais-je, moi qui, de mon point de vue, dois instantanément choisir entre plusieurs Jean-Louis et plusieurs lundis ? Quoique codé, pour ne parler que du plus connu de ces opérateurs, le shifter apparaît comme le plus retors — fourni par la langue elle-même — de rompre la communication : je parle (voyez ma maîtrise du code) mais je m’enveloppe dans la brume d’une situation énonciatrice qui vous est inconnue; je ménage dans mon discours des fuites d’interlocution (ne serait-ce pas, finalement, toujours ce qui se passe lorsque nous utilisons le shifter par excellence, le pronom « je » ?). De là, il imagine les shifters (appelons ainsi, par extension, tous les opérateurs d’incertitude formés à même la langue : je, ici, maintenant, demain, lundi, Jean-Louis) comme autant de subversions sociales, concédées par la langue, mais combattues par la société, à laquelle ces fuites de subjectivité font peur et qu’elle colmate toujours en imposant de réduire la duplicité de l’opérateur (lundi, Jean-Louis), par le repère « objectif » d’une date (lundi 12 mars) ou d’un patronyme (Jean-Louis B.). Imagine-t-on la liberté et si l’on peut dire la fluidité amoureuse d’une collectivité qui ne parlerait que par prénoms et par shifters, chacun ne disant jamais que je, demain, là-bas, sans référer à quoi que ce soit de légal, et où le flou de la différence (seule manière d’en respecter la subtilité, la répercussion infinie) serait la valeur la plus précieuse de la langue ?

Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil, Paris, 1975

Fragment autobiographique n°2bis

1963 vox couv 2015
1963 vox univers 2015
Vendredi 16 janvier 2015, Paris. Il y a 50 ans jour pour jour, je recevais de mes parents, en cadeau d’anniversaire, le livre de Maximilien Vox, Cent alphabets ‘Monotypes’. Faisons le point, édité par l’Union bibliophile de France, imprimé — en typographie — par Draeger le 27 décembre 1963, 136 pages, format 19 x 27,5 cm. C’est un beau livre devenu un classique, il est entièrement reproduit sur le site de Peter Gabor, ici. Je me souviens avoir eu un peu de mal avec la « classification Vox » — Famille des caractères classiques : humanes, garaldes, réales; Famille des caractères modernes : didones, mécanes, linéales; Famille des caractères d’inspiration calligraphique : incises, scriptes, manuaires, fractures — mais elle m’est restée et je continue à l’utiliser pour une part. J’ai appris récemment, par une doctorante qui travaille sur la dimension graphique et typographique du cinéma de Godard, que Maximilien Vox était l’oncle de Godard. Rapprochement qui m’intéresse puisque Godard m’a marqué et me marque encore.

De la bibliothèque : Brecht, Monsieur K.

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Mardi 15 juillet 2014, 19h. Parce qu’Anne, qui termine sa thèse sur l’observation et la surveillance dans l’art contemporain, me demande de vérifier la traduction d’un fragment de Brecht, Histoires de Monsieur Keuner, je sors Histoires d’almanach, traduction de Maurice Regnault, L’Arche, édition de 1973, page 148 :

Histoires de Monsieur Keuner
Quand Monsieur K. aimait quelqu’un
« Que faites-vous, demanda-t-on à Monsieur K., quand vous aimez quelqu’un ? »
« Je fais de lui un portrait, dit Monsieur K., et je prends soin qu’il lui ressemble. »
« Qui ? Le portrait ? »
« Non, dit Monsieur K., l’homme. »

Geschichten vom Herrn Keuner
Wenn Herr K. einen Menschen liebte.
« Was tun Sie, wurde Herr K. gefragt, wenn Sie einen Menschen lieben ? »
« Ich mache einen Entwurf von ihm, sagte Herr K., und sorge, daß er ihm ähnlich wird. »
« Wer ? Der Entwurf ? »
« Nein, sagte Herr K., der Mensch. »

La société de l’intermittence

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Jeudi 19 juin 2014, 18h, gare du Nord. La grève des cheminots met en scène de nombreux employés aux gilets rouge « SNCF assistance » — et même un pianiste qu’on ne voit pas sur la photo. Autre tension ailleurs : les intermittents du spectacle. À la fin des années 60, je refusais de m’intéresser à La Société du spectacle de Guy Debord. Je prenais le spectacle comme un espace de liberté et un instrument critique. Maintenant que la société du spectacle est partout, il faut prendre La Société de l’intermittence* comme une chance. D’abord pour résister au « temps réel » — c’est l’informatique qui a inventé ce terme, pour gouverner les événements et le passage du temps.
*©jlggb
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Il vient de paraître en français : Jonathan Crary, 24/7. 24/24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : le capitalisme à l’assaut du sommeil, traduit du par Grégoire Chamayou, conception graphique : deValence, Zones, La Découverte, 140 pages. Il traite de la « vie sans temps morts ».
Texte intégral : http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=185

De la bibliothèque : Quelle histoire

quelle histoire livre
Lundi 3 février 2014. Acheté depuis pas mal de temps mais lu en un jour : Stéphane Audoin-Rouzeau, Quelle histoire. Un récit de filiation (1914-2014), « Hautes Études » EHESS, Gallimard, Seuil, août 2013. La grande littérature n’a pas à proclamer son nom. Les écrits rapportés — lettres des grands-pères, récit dans le cours même d’une montée en ligne terrifiante, extraits de l’autobiographie du père, occupent une large place. Ils sont des monuments, au sens que le mot a chez Rousseau, des documents qu’il accumule, dans la seconde partie des Confessions, pour tenter de fournir des preuves. Pour ma génération, les monuments ce sont les monuments aux morts, d’abord de la Grande Guerre. On y est. L’auteur les installe dans une démonstration d’historien, factuelle, objective. Mais il laisse entrer un texte ouvertement subjectif. Il ne saurait en être autrement car il s’agit de l’expérience des « siens » et en fin de compte de lui-même. Stéphane Audoin-Rouzeau a choisi de devenir historien et précisément historien de la Grande Guerre — il l’est, parmi les plus considérables. On peut comprendre que ce fut la façon la plus juste de résister à la malédiction implacable qu’il révèle. Ce n’est pas seulement l’homme dans l’histoire mais l’histoire dans l’homme. En dépit des dénégations et des fuites, la violence de la guerre se transmet de génération en génération. Pour lui, l’un des pires crimes que l’on puisse connaître, c’est l’inconscience. Ses grands-pères, anciens combattants, ont été réduits au silence. Son père lui aussi n’a pas voulu comprendre et, en s’échappant résolument vers le surréalisme — dont il est devenu un grand spécialiste —, en s’attachant sans bornes à André Breton qui disait que parler de la guerre c’est lui faire de la réclame, il s’est engagé dans sa propre destruction fatale. [Curieusement, le surréalisme est cité dans deux billets récents]. Je recommande de lire ce livre, pour faire l’expérience de sa constante mise à distance qui laisse naître, au détour des pages, des révélations terribles comme du roman, pour reprendre conscience, sans concessions mais avec clairvoyance, d’un siècle de destin tragique. C’est-à-dire jusqu’à aujourd’hui. Et encore, plus généralement, pour savoir regarder comment le silence et les échappées peuvent nous asservir au passé dont on croit se défaire.