Samedi 26 septembre 2009, 19h, galerie Kreo, rue Dauphine, Paris, 6e. Jasper Morrison et Naoto Fukasawa, alliés de l’opération « Super Normal », voir le billet du 11 juillet 2008, quand ils produisent des pièces limitées pour les galeries, conservent leur minimalisme et leur néo-modernisme raffinés mais le dépassent par un radicalisme qui a des accents post-modernes : effet de citation du « Cabinet de curiosités » ou du Musée pour Morrison (ses formes proviennent d’objets photographiés dans des musées archéologiques partout dans le monde puis reconstituées en 3D et réalisées en résine à la prototypeuse) ; référence vernaculaire du granito de la table de Fukasawa*. Cette table « Drilling » (parce que les pieds sont obtenus par carottage d’un béton de fragments et de graviers) se réfère en outre à la tradition japonaise qui veut que les objets soient des mémoires : ici, pour le 10e anniversaire de Kreo, on dit que des débris des travaux de la galerie ont été inclus dans le béton.
*Un semblable radicalisme du pauvre devenu luxe avait été noté, le 20 septembre 2008, avec le porte-manteaux « Hange » (voir le billet « Design remarqué : clous »)
Étiquette : Design
Perché è lì…
Mercredi 24 décembre 2008, 12h — 14h, musée GAM [Galleria d’Arte Moderna e Contemporanea], Turin. Exposition Enzo Mari, L’arte del design. Enzo Mari, Modulo 856, construction en bois laminé de blanc, miroir, 1967. De cette pièce, critique à l’égard des grandes expositions collectives où les visiteurs n’ont pas la possibilité de juger, Enzo Mari dit : « il visitatore scopre inaspettamente la propria immagine, attonita, riflessa da uno specchio. L’idea è che possa domandarsi perché è lì… » [Le visiteur, étonné, découvre de façon inattendue sa propre image reflétée dans un miroir. L’idée est qu’il puisse se demander pourquoi il est là…]. Catalogue Enzo Mari, L’arte del design, Federico Motta Editore, Milan, 2008, p. 145. En 2021, la grande monographie d’Enzo Mari à la Triennale de Milan montrera de nouveau ce dispositif : http://jlggb.net/blog7/3727-2/
Davide Boriani, Chiggio, Gianni Colombo, Gabriele de Vecchi, Enzo Mari, Manfredo Massironi,
Percorso a passaggi programmati, 1968,
théâtre mobile de la maison de la culture de Grenoble,
exposition Cinétisme-Spectacle-Environnement.
Le travail sur l’exposition de Grenoble en 1968 fut l’occasion d’une rencontre avec Enzo Mari et d’autres artistes italiens réunis pour cette œuvre collective. Le commissaire de l’exposition, Frank Popper, écrit dans son ouvrage Art, Action et Participation (Klincksieck, 1980, réédition en 2008) : « Quand Modulo 856 fut installé pour la première fois dans la rue à l’occasion de la sixième biennale de San Marino, le spectateur n’était pas seulement confronté à cet objet mais à un questionnaire sur la nature de l’objet, sur sa signification et sur son appréciation. » [traduction à partir de l’édition anglaise]. Voir aussi l’article de Birgit Lohmann, Designboom.
Enzo Mari
© designboom
La jalousie (Vie des objets. Ch.1)
Le constat a eu lieu en ouvrant le lave-vaisselle : la tasse anglaise s’est brisée cette nuit. La coïncidence ne peut pas être sans signification : c’est hier qu’était arrivée une tasse neuve en verre, destinée à la remplacer dans l’usage du petit-déjeuner. Observée de près, comme cela n’avait pas été le cas il est vrai depuis des années de fréquentation quotidienne, la faïence a des fissures, de très fines lignes verticales. Les inscriptions « Dishwasher Safe » et « Microwave Safe » entourent la marque Spode. Pourtant elle était trop brulante après trois minutes au micro-ondes pour porter le lait sortant du frigo à une tiédeur relative. Cette (ou ce) mug (grosse tasse cylindrique, avec anse, utilisée sans soucoupe dit Wikipedia) était en passe de n’être plus la favorite (retour de vacances, septembre). La fréquentation obsessionnelle des magasins Muji a fait son œuvre. Certains objets ne méritaient pas un regard et puis en voilà un qui est élu : une mug qui contient sans en avoir l’air un demi-litre, comme l’autre. Une forme transparence et rationnelle. Retour du moderne sans complexe après une vingtaine d’années de post-moderne teinté de rousseauisme.
Vient de Londres, magasin Blue China ? Années 90. Le dessin est sous la glaçure, ce qui est une grande qualité. Scène gravée avec en haut une frise chinoise (nuage, grenade, lotus, chrysanthème, etc.) et en bas une scène champêtre et les fausses ruines d’un jardin anglo-chinois. Made in England, Italian, Spode Design, C. 1816. (À voir : « The central scene is thought to be ruins near Rome. » et, maintenant, « Made in Asia, designed in England. »)
Spode Blue Italian 0.5 Ltr mug
Usual Price: £11.91
Achetée chez Muji (magasin des Ternes) le mardi 2 septembre 2008. Muji, pas de marque apparente, pas de designer, dit-on. C’est bien sûr une fable qui cache tout le contraire. Enquête à suivre.
Muji Mug en verre 500 ml
6.00 EUR
Épilogue provisoire, en date du 21 mai 2009 (voir Vie des objets, chapitre 4): il n’y aura pas de happy end
Design remarqué : auto art toy
Dimanche 27 juillet 2008, 18h, Champs Élysées (c’est aussi l’arrivée du Tour de France).
Un concept car devenu produit. Maintenant, la plupart des autos ont non seulement un visage mais une expression, mais là on vise le plus ou moins kawaï, quelque chose du Pikachu. Remarque : dans les magazines d’autos, on désigne souvent cette marque, aujourd’hui la 1ère au monde, par son petit nom : « toy ».
Note ajoutée le 1er janvier 2012 : le « Design expliqué » de la iQ dans une vidéo de 2008 — Entre temps (en août 2011, nous avons acheté une iQ d’occasion). La iQ est conçue dans le bureau de style Toyota de Nice (Sophia-Antipolis) et fabriquée au Japon (Takaoka, près de Nagoya).
Toyota iQ : son design expliqué (2008) par challenges-auto
Extraits du commentaire : « Vibrant Clarity ». Déséquilibre parfait des proportions, simple mais audacieuses, force et agilité… En puisant leur inspiration dans les équations comme celles de de Dini et Scherk, les designers ont sculpté des formes extérieures inédites d’une grande rigueur mathématique mais aux formes étonamment vivantes et libres… Ce terme « techno-organique »… regorge de paradoxes, par la synergie de valeurs émotionnelles et rationnelles… simple mais intrigant, il représente le design progressiste japonais.
Super Normal
Paris, 10 juillet 2008. Naoto Fukasawa et Jasper Morrison s’entendent, dans leur livre Super Normal (LarsMüller, Baden, Suisse, 2007) sur le sens à donner à « super normal » et donc sur l’efficacité de cette expression pour repérer une certaine qualité des objets : la chaise d’Enzo Mari « Mariolina » (2002) et sa corbeille à papier « in attesa » (1971); un verre de Sori Yanagi, comme ses couverts; un cintre de chez Muji; le feutre à écrire de Pentel; la lampe « Tolomeo » de Giancarlo Massina et Michele de Lucchi (1986); la lampe « Amami » de Naoto Fukasawa; l’appareil photo-numérique « Ricoh GR » dessiné par Masahiro Kurita et Tatsuo Okuda, etc. Minimalisme, évidence de la forme-fonction, adhésion du public, sélection par l’histoire; etc.
Jasper Morrison et Naoto Fukasawa avec Sori Yanagi, Tokyo, 2006
Voir aussi l’exposition Super Normal, Triennale de Milan, du 18 au 23 avril 2007.
Un article dans Domus.
Naoto Fukasawa & Jasper Morrison, Super Normal. Sensations of the Ordinary,
Lars Müller Publishers, Baden, Suisse
Design remarqué : canapé rouge
À Berlin, côté ex Ouest, c’est-à-dire non loin du Ku’damm (Kurfürstendamm), chez Modus Möbel (Wielandstraße 27-28), vendredi 1er février 2008, vers 13 heures. Voyant ce canapé, on se dit : voilà un canapé. Pas un divan (plat et ouvert, un peu dur) à la Freud (là, le Charles, chez le même éditeur B&B, serait mieux placé), mais accueillant pour s’y bloquer, et surtout très rouge. Il s’agit de Le Bambole (Les Poupées) de Mario Bellini (né en 1935), dessiné en 1972 : un succès, un classique, « un oreiller en 3D ». Il est réédité en 2007. Les photos de Oliviero Toscani avaient beaucoup fait pour ce succès des Bambole. Pour s’assurer une nouvelle clientèle (ou la clientèle de ceux qui n’en avaient pas encore les moyens dans les années 70), B&B reprend Toscani, qui cette fois prend pour modèles deux jumelles de 11 ans, « Bambole du futur » (voir tout ça, et aussi un entretien avec Mario Bellini, sur le site de B&B, ci-dessous).