1990 Anthologie d’images de synthèses scientifiques

Jean-Louis Boissier, Anthologie d’images de synthèses scientifiques, installation vidéo-interactive, 1990.

FICHE GÉNÉRIQUE
Anthologie d’images de synthèse scientifiques, installation avec vidéodisques pour l’exposition Passages de l’image, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, 1990
Conception et réalisation : Jean-Louis Boissier
Coordination de la production : Marie-Luce Staib
Programmation informatique : Thierry Jori
Production : Cité des sciences et de l’industrie pour l’exposition Image calculée et Centre Pompidou pour l’exposition Passages de l’image

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Version pour le Wexner Center, Columbus, Ohio, États Unis, 1992. [Photos JLB]

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Copies d’écrans, extraits de l’Anthologie d’images de synthèse scientifiques, installation pour Passages de l’image, Centre Pompidou, 1990.
[DR document collection JLB]

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Copies d’écrans, extraits de l’Anthologie d’images de synthèse scientifiques, installation pour Passages de l’image, Centre Pompidou, 1990.
Modélisation de la croissance du caféier, Cirad, Montpellier, 1988-1989. [DR document collection JLB]

ARGUMENT
Empruntant ses images aux laboratoires les plus divers (botanique, biologie, médecine, dynamique des fluides, météorologie, exploration spatiale, architecture, mathématiques, etc.) ce programme indique les voies ouvertes par l’informatique pour la recherche sur l’image : mutation du régime de la représentation, simulation, autonomie comportementale des images. Il tend également à mettre en évidence le potentiel esthétique de l’image de synthèse. La consultation de cette anthologie se fait sur le mode interactif : appel des séquences par leur thème et titre, feuilletage en montage virtuel à partir de mots-clés.

CONTENU
Chapitres : espace, matière, mouvement
Mots clés : forme, texture, animation, exploration, loi, perspective, plasticité, processus, structure, trajectoire, volume, couleur, lumière, nuage, relief, surface, tissu, vivant, volute, automate, comportement, dynamique, interaction, rythme, temps, vibration, vitesse

Liste des 24 séquences contenues dans le vidéodisque :

1. Espace

Dynamics IBM, Alan Norton, USA, 1986
Graphique d’un ensemble fractal.

Tori in the Hypersphere, David Margolis, Brown University, USA, 1985
Pour explorer une sphère d’un espace à 4 dimensions, l’ordinateur y projette des tores en perspective.

Fly Lorenz, Dr Jürgens Hartmut, Bremen, Allemagne, 1984
Le modèle mathématique des « attracteurs étranges » de E. Lorenz démontre l’importance des conditions initiales sur la trajectoire.

Mars the Movie, Lab. D.A.L. Jet Propulsion, USA, 1989
La planète Mars, reconstruite en 3 dimensions à partir de vues prises par une sonde spatiale.

Images de simulateur de vol, Thomson CSF, France, 1990
Répondant aux sollicitations des commandes du simulateur, les images se calculent en temps réel.

C.G. Town, Eihachiro Nakamae, Hiroshima University, 1987
Essais d’un algorithme destiné à restituer les lumières diffuses d’une atmosphère brumeuse.

Projet Nemausus (Jean Nouvel & Jean-Marc Ibos), Marc Benoît, OTH, France, 1987
La maquette numérique s’offre à l’exploration avant même la construction de l’immeuble.

Radiosité, Claude Puech et François Sillon, École normale supérieure, France, 1990
Pour tester des effets d’éclairage, l’ordinateur considère la capacité des objets à réémettre la lumière.

2. Matière

Les molécules attendaient l’informatique, François Stanojevicx, CNRS, France, 1988
L’infographie visualise les structures et les champs de forces électrostatiques des molécules.

Vibrations moléculaires, G. Vergoten, SFRS, France, 1988.
Agitations de molécules complexes ayant lieu plusieurs dizaines de milliards de fois par seconde.

Instabilities in Supersonic Flows, Michael L. Norman, NCSA, University of Illinois, USA, 1987
Modèle numérique de flux de gaz ionisé émanant de certaines galaxies.

Évolution galactique, Éric Fijalkov, PMMS-CNRS, France, 1988
Modèle numérique du tourbillon de matière propre à la formation des galaxies. (1 seconde représente 1 million d’années).

Turbulence en deux dimensions, Marie Farge, LMD-École normale supérieure, France, 1988-1990
Modèles numériques de vortex dans la haute atmosphère et d’ondelettes bidimensionnelles.

Tourbillons, champ de vorticité, Claude Basdevant, France, 1988
Simulation par modèles numériques de collisions sous divers angles de couples de tourbillons.

Study of a Numerical Severe Thunderstorm, Michael L. Norman, NCSA, University of Illinois, USA, 1989
Modèle numérique en 3 dimensions pour la visualisation de l’évolution et des effets d’un cyclone.

Voxel Man, Pr. Dr. K.H. Höhne, IMDM, Hamburg, Allemagne, 1988
Image volumique du corps d’un individu obtenue par la combinaison de multiples coupes par résonance magnétique.

3. Mouvement

Rigid Body Dynamics Simulation, James Hahn, Charles Csuri, Ohio State University, USA, 1988
Ces objets connaissent les lois de la dynamique et ont ainsi un comportement autonome.

Caltech Studies Modeling and Motion, Pandora’s Chain, Allan H. Barr, California Institute of Technology, USA, 1987
Objets réglés par des lois physiques, capables de s’assembler et de s’animer dans des contraintes déterminées.

Deformable Models, Palo Alto Schlumberger Research, USA, 1988
Simulation de l’élasticité, de la plasticité et du seuil de rupture.

Research on Movements, Gavin Miller, ALIAS, Canada, 1989
Objets-images dont le comportement automatique relève de modèles physiques.

Motion Studies, Michael Girard, George Karl, Ohio State University, USA, 1986
Figuration automatique de gestes humains à partir de lois de la dynamique et de la cinématique.

C.G.A.G. Animation, David Zeltzer, Media Lab., MIT, Cambridge, USA, 1987
Des techniques dérivées de l’intelligence artificielle procurent à ces figures une autonomie de mouvement.

Modèles physiques et animation, Annie Luciani, Claude Cadoz, ACROE, Grenoble, France, 1990
Un dispositif gestuel rétroactif permet d’accéder à ces objets virtuels définis par des modèles physiques.

Croissance et architecture de plantes, Philippe de Reffye, CIRAD, Montpellier, France, 1990.
Le comportement vital est simulé à partir de données botaniques et en fonction de diverses influences possibles.

CONTEXTE

[…] La solution que je propose pour Passages de l’image contourne la question de l’art et, simultanément, nuance l’appréciation de l’image de synthèse. Elle provient des recherches que j’ai conduites pour Image calculée à la Cité des sciences et de l’industrie en 1988. Cette exposition technologique, didactique, historique et documentaire résulte d’une collecte très approfondie, portant sur toutes espèces de modalités et d’usages de l’image calculée par ordinateur. Elle comprend notamment une manière de cabinet de curiosités, qui tente une histoire naturelle du calcul dans l’image, associant exemples historiques (mosaïque, perspective, tissage programmé, géométrie descriptive, etc.) et films d’images de synthèse, consultables à partir d’une série de vidéodisques.

Dans la même période, je m’attache à une étude, qui sera publiée en 1989 par le CCI dans « Les Chemins du virtuel »*, sous le titre : « Bambous. Pour que poussent les images ». À partir des travaux du CIRAD, centre de recherche en agronomie situé à Montpellier, qui portent sur l’architecture et la croissance des plantes, j’entends montrer comment une image de synthèse peut relever, et relève toujours plus qu’on l’admet, d’une saisie du réel. La simulation de processus et d’objets naturels, si elle dépend d’une modélisation mathématiques et logique, de ce qui a été fondamentalement compris et décrit, peut inclure une part d’incompris qui, précisément, appartient à la saisie. La vérité, qui est aussi la complexité, de telles images virtuelles est à ce prix. Et leur potentiel esthétique aussi. Pour affermir cette hypothèse, je propose leur comparaison, d’une part avec la peinture traditionnelle chinoise qui, comme la tradition botanique elle-même, implique un  langage, et d’autre part avec les premiers photogrammes de plantes qui sont une prise d’empreinte.

*NOTE : « Les Chemins du virtuel », numéro spécial des Cahiers du CCI, sous la direction de Jean-Louis Weissberg, Centre Pompidou, 1989. Les « Les Chemins du virtuel » sont aussi un cycle de conférences tenu en mai 1989 au CCI, sous la direction de Martine Moinot et Jean-Louis Weissberg.

Toujours associée à de pures constructions géométriques et langagières, la part de la saisie est, ou bien très directe et hyper-photographique, comme dans la cartographie numérique ou les nouvelles images anatomiques, ou bien plus comportementale et relationnelle, parfois très lointaine dans le processus de modélisation, comme dans les figures de tourbillons en astrophysique ou celles d’automates « intelligents » inspirés par les insectes et par les humains.

L’image virtuelle est, comme d’autres images mais dans son registre propre, au point de passage entre visible et lisible. Elle va de ce fait aussi bien du côté de la science que du côté de la fiction. Je crois me souvenir que la séquence, sélectionnée parmi celles du CIRAD, que j’intitule pour lui « vie et mort du caféier » emporte l’adhésion de Raymond Bellour. Il écrira : « En ouvrant ainsi un accès à l’invisible, […] l’image de synthèse nous propose ce paradoxe : une analogie virtuelle. […] L’œil devient second par rapport à l’esprit qui le contemple et demande à l’œil de le croire. Mais c’est aussi parce que l’image, pour être simulée, doit être, autant que vue (c’est là la fonction du spectacle, qui demeure), touchée, manipulée (c’est sa dimension proprement interactive). »*

*NOTE : Raymond Bellour, « La double hélice », Passages de l’image, catalogue, p. 44.

Nous décidons de réaliser, en ne gardant d’Image calculée que les images à vocation scientifique, y compris celles de la science de l’imagerie informatique elle-même, un vidéodisque de 24 séquences, exposable dans Passages de l’image. Ces images sont intéressantes pour le public de l’art, nous le vérifierons. Les scientifiques, les chercheurs, techniciens, ingénieurs en images, ont le goût de l’image. Souvent, leurs images ne sont pas directement utiles comme instruments d’expérimentation, de découverte ou de preuve. Elles apparaissent parfois comme des suppléments, des jeux incertains. C’est parce que la science a besoin de penser aussi par images et qu’elle manifeste une manière de besoin d’art.

Passages de l’image sera présentée en 1991 à la Fondation Caixa de Barcelone et au Wexner Center de Columbus, Ohio, puis, en 1992, au Museum of Modern Art de San Francisco. Je rapporte au moins un événement significatif : À Columbus, le Wexner Center, centre d’art emblématique de l’architecture postmoderne (son architecte, Peter Eisenmann, est celui que Lyotard a choisi de montrer dans Les Immatériaux), est partie prenante du campus universitaire. L’Anthologie d’images de synthèse scientifiques contient des images qui, précisément, proviennent d’un centre de recherche de ce campus, celui de Charles Csuri, mondialement connu dans le cercle des spécialistes de l’image de synthèse. Ses travaux ont été montrés partout dans le monde, y compris dans les art-shows de congrès technologiques, mais jamais dans un musée d’art contemporain. C’est par le détour de notre problème de Passages que Charles Csuri se retrouvera dans la galerie voisine de son laboratoire.

Dans cette tournée américaine, l’Anthologie est inscrite dans le white cube réglementaire de l’art contemporain, avec un fauteuil et un bureau ancien, directement trouvés sur le campus, le moniteur vidéo, les deux lecteurs de vidéodisques, l’ordinateur Macintosh à écran tactile, et une petite pancarte : « Please touch the screen ». Faisant écho aux inscriptions « Prière de ne pas toucher » auxquelles les musées nous ont habitués, le Prière de toucher de Duchamp (1959) relevait d’un haptique réservé à l’œil (ce livre précieux n’est jamais exposé que dans une vitrine). Plutôt qu’une distinction entre passivité ou activité du spectateur, les pièces interactives sont caractérisées par l’invitation à des attitudes relationnelles où le corps est effectivement sollicité, par sa présence et son mouvement, ou par un simple geste. Ce geste implique le plus souvent un contrôle, une perception en retour, le regard. L’expérience relationnelle va de la simple désignation, du simple déclenchement à la consultation et au jeu.

Certains théoriciens voient dans le public de l’œuvre interactive un coauteur. Je préfère pour ma part parler d’une situation de lecture, d’interprétation ou de jeu — pas nécessairement au sens strict du ludique, encore que Barthes dise que « toute lecture est fondamentalement ludique » – qui n’annule pas le partage entre l’auteur et les destinataires de l’œuvre, l’auteur de l’œuvre interactive ayant même à exercer une « direction du spectateur ». Ou alors l’œuvre serait ouverte au point de relever plutôt de l’instrument, mais alors le joueur aurait à en faire l’apprentissage. Si une œuvre interactive appelle le passage de la position de spectateur à celle d’acteur, elle ménage généralement un place pour de purs spectateurs. Et l’on peut assister, dans un apparent paradoxe, au spectacle de l’interactivité. Pour s’extérioriser, l’interactivité est d’abord interne au dispositif. Si bien que l’on est fondé à parler d’œuvre interactive dès l’instant où elle est perçue comme une machine au travail.

L’interactivité elle-même relève du virtuel. La programmation informatique est la substance d’un type d’image qu’on qualifiera d’image relationnelle. Ces images appartiennent à la catégorie des images virtuelles, dans le sensible et le performatif. Elles sont lisibles, jouables et saisissables par leurs interfaces, mais ne sont visibles et audibles que par leurs éventuelles couches d’images classiques. Pour le virtuel, la saisie est aussi bien source de modélisation qu’accès interactif. Le virtuel implique une saisie et une ressaisie. Comme tableau de l’image de synthèse et de ses mondes virtuels (même si ces images, par essence interactives, sont là sous forme de reproductions filmiques) et comme installation interactive, selon un procédé de consultation qui tient du montage virtuel, Anthologie d’images de synthèse scientifiques pointe, dans ce double registre et depuis la marge qu’elle occupe dans l’exposition, une telle esthétique du virtuel.

Jean-Louis Boissier, « La question des nouveaux médias numériques », in Centre Pompidou : 30 ans d’histoire, ouvrage collectif sous la direction de Bernadette Dufre?ne, Centre Pompidou, 2007