De la bibliothèque : KunstLichtKunst





Lundi 1er octobre 2012, 23h50. Catalogue KunstLichtKunst, de l’exposition du Stedelijk van Abbemuseum d’Eindoven, 25 septembre — 4 décembre 1966. Ressorti de la bibliothèque à l’occasion de la préparation de l’exposition « leurs lumières », cet exemplaire me fut donné par Frank Popper au début des années 80. Popper est l’auteur de la longue introduction qui préfigure tout le travail historique et esthétique qu’il va faire sur l’art cinétique, notamment pour Licht und Bewegung à la Kunsthalle de Düsseldorf en 1966 et pour Lumière et mouvement au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1967. Ce très bel ouvrage (format 23 x 26, 150 pages) comporte des textes en plusieurs langues des artistes ou groupes d’artistes et documente ainsi Takis, Enzo Mari (que je vois en 1968 à Grenoble pour Cinétisme-Spectacle-Environnement) ou Robert Indiana (vu à Art Frieze en 2008). Le titre est un jeu de mots en allemand puisque Kunst = art, Licht = lumière, kunstlich = artificiel, Kunstlicht = lumière artificielle ou tungstène. Pour accroître cet effet, le titre est écrit sur la couverture en quart de cercle : KunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunstLichtKunst, à la manière de « A Rose Is A Rose Is A rose » (Gertrud Stein) ou du casinocasinocasinocasinocasinocasinocasinocasino autour des assiettes publicitaires du magasin Casino de notre enfance.

 

Sur mon étagère : machine de capture, machine de mémoire



Dimanche 11 décembre 2011, 23h, Paris. Sur mon étagère, il y a, depuis des années, un appareil photo que j’ai emprunté à Frank Popper. C’était en 1983, nous préparions l’exposition Electra pour le Musée d’art moderne de la Ville. F.P. m’avait demandé de chercher et de classer des photographies dans son bureau qui se trouvait sous les toits, quai des Grands Augustins. Il s’interrogeait sur une éventuelle pellicule qui se trouverait dans cet appareil étrange, petit, très lourd, nommé Robot, comportant un mouvement à ressort et un solide bouton pour le remonter. C’est que cet appareil peut capturer les images en rafales. Il y avait une pellicule mais elle ne donna rien. Aujourd’hui, Frank vient, avec Aline, nous rendre visite. La vue de l’objet lui dit quelque chose, mais il ne se souvient pas d’où il le tenait. Ce que l’on peut comprendre de cet appareil photo, c’est qu’il a rapport à la guerre, à l’aviation. L’objectif est un Schneider-Kreuznach Tele-Xenar f : 3,8 – F=7,5 cm. Le viseur présente un cache qui réduit le champ pour l’adapter au téléobjectif. La visée se fait ou bien par l’oculaire arrière ou bien par l’oculaire de côté. Les négatifs font 22 mm de large sur 23 mm de haut. Ici, l’inscription gravée sur les appareils Robot II F embarqués, « Luftwaffen-Eigentum » (Propriété de l’Armée de l’air — voir un document trouvé sur Internet), a été grattée. Il y a un numéro à l’intérieur, qui est en bakélite : F 55783-5. Car on peut apprendre qu’un tel appareil — qui gagna un Grand Prix à l’Exposition universelle de Paris en 1937 — fut fabriqué à 20 000 exemplaires (voir le site consacré à l’histoire du modèle Robot : http://www.robot-camera.de/ROBOT_Historie/robot_historie.html) pour équiper les avions allemands engagés dans la guerre, et notamment ceux qui avaient pour cibles les villes et la population de Grande-Bretagne (http://www.robot-camera.de/ROBOT_Kameras/Robot_II/Robot_II_Luftwaffe/robot_ii_luftwaffe.html). C’est ici qu’il faut rappeler que F.P. a fui Tannwald, en Tchécoslovaquie, en juillet 1938 (il avait 20 ans), pour Londres où il a cherché et finalement obtenu un engagement volontaire dans la RAF, non pas comme Photointerpreter, comme il le souhaitait, mais comme Wireless Operator (lire son livre Réflexions sur l’exil, l’art et l’Europe, Klincksieck, 1999, pp.61-62 et l’article de jlggbblog du 22 mars 2009 : http://jlggb.net/blog/?p=1895). Frank Popper m’a dit, cet après-midi, qu’il souhaiterait écrire un curriculum vitæ, non pas l’énumération de tous ses articles, de toutes ses conférences, mais la suite de tous les instants qui ont marqué son existence, qui ont marqué sa mémoire. Je fais l’hypothèse que l’objet qui est sur mon étagère provient d’un avion tombé en Angleterre et récupéré par F.P.