Il y a 33 ans, la faculté de Vincennes

SMcQ
Vendredi 9 août 2013, 16h30, café Le Préau, rue de Birague, Paris 4e. Sadie est étudiante en littérature française (et études féminines) à Harvard. Au cours d’un séjour de deux mois à Paris avec sa professeure, Alice Jardine, qui fut étudiante à Paris dans les années 70, elle a choisi, dans le thème généra « Paris et ses révolutions », de conduire une étude sur la démolition de Vincennes en 1980. Ce sont mes photos publiées ici (voir : « Des archives : 12 photographies inédites d’août 1980 ») qui l’ont conduite à s’adresser à moi. J’ai donc répondu à ses questions : « Pourquoi cette décision brutale de raser totalement les bâtiments ? »; « Quelle résistance s’est exprimée en 1980 ? »; « Comment l’université a-t-elle évolué après son transfert à Saint-Denis ? »; etc.

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Démolition de la faculté de Vincennes, août 1980 (photo © JLggB).

Pour en savoir plus et comprendre cette histoire, il convient de regarder ces deux films, réalisés par des collègues de l’université Paris 8 :
Le Vent de Vincennes, de Katharina Bellan, VLR Productions, 2005, 53mn, avec Monika Bellan, Jean-Maurice Dumas, Hélène Cixous, Alain Badiou, Bernard Cassen, Michel Debeauvais, Jacques Rancière, Claude Frioux, Jean Narboni et Jean-Paul Fargier;
Roman noir pour université rouge de Yolande Robveille et Jean Condé, Zarafa Films, 2008, 91 mn, avec François Châtelet, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, Michel Foucault, Hélène Cixous, Bernard Cassen, Alain Badiou, Daniel Defert, Denis Guedj, Gérard Miller et d’autres.

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Le Vent de Vincennes, Julie Loi, Katharina Bellan, 2005.

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Roman noir pour université rouge, Paul Chaslin, 2008.

La disparition récente de Paul Chaslin, constructeur des bâtiments de Vincennes, grand militant de la culture populaire, a permis de rappeler son engagement et sa personnalité hors du commun :
Paul Chaslin. Souvenirs d’un entrepreneur tout terrain, Les éditions du Linteau, 2013;
« Paul Chaslin, entrepreneur, militant culturel », Le Monde, 24 janvier 2013.

La Bretagne et la guerre, le militantisme éducatif, un engagement à gauche qui n’entravait jamais ses convictions ni son franc-parler ont forgé le caractère passionné de Paul Chaslin, ancien entrepreneur de construction, qui vient de mourir, le 18 janvier, à Binic (Côtes-d’Armor). Son parcours a été marqué par un double combat, mêlant action culturelle et innovation industrielle, une conjonction qu’il était moins rare de rencontrer dans les années 1960 qu’aujourd’hui.

Après le lycée à Saint-Brieuc, où naît son amitié de toute une vie avec l’écrivain Louis Guilloux (1899-1980), il est étudiant en math sup’ à Paris au lycée Louis-le-Grand, quand il décide, en 1943, de rejoindre la Résistance via l’Espagne. Arrêté, retenu plusieurs mois au camp de Miranda, il s’évade, avec d’autres, vers le Maroc. Rejoignant à Alger les Forces françaises libres, il participe au débarquement en Italie et à la campagne de France, en Alsace.

A la Libération, il entre à l’Ecole des travaux publics. A partir de 1947, jeune ingénieur, il est l’adjoint du directeur de chantier pour le barrage de Donzère-Mondragon (Vaucluse), à la Compagnie nationale du Rhône. En 1959, il crée sa propre entreprise, le bureau d’études GEEP-Industries, qui aura jusqu’à 1 300 employés, dont 200 ingénieurs, et fera travailler près de 4 000 personnes. Ce qui lui vaudra de grandes réussites, et un revers de carrière dramatique, quand il sera contraint, en 1971, de se résoudre au dépôt de bilan en raison d’engagements non tenus par l’Etat. Adoptant un procédé de Péchiney-Saint-Gobain pour la construction industrialisée en panneaux d’aluminium et de verre, Geep-Industries avait déjà réalisé plus de 150 collèges de grande qualité, quand, dans l’urgence de l’après-Mai 1968, le ministère de l’éducation, dirigé par Edgar Faure, lui demande d’édifier, en trois mois, l’université nouvelle de Vincennes. Pari tenu. Mais l’Etat accumule les dettes à l’égard de l’entreprise, jusqu’au tiers de son chiffre d’affaires, et les banquiers se désistent à l’été 1971.

En 1977, les articles du Monde sur le procès pour banqueroute du PDG, au tribunal de Paris, sont titrés notamment « Comment tuer une entreprise qui réussit ». Paul Chaslin est soutenu par de nombreuses personnalités, d’Antoine Pinay, ancien ministre des finances, à Michel Rocard ou Paul Delouvrier, alors président d’EDF. Le journaliste François Renard décrit un personnage habité par « la rage de convaincre », et l’émotion que crée la condamnation, y compris en appel, d’un entrepreneur victime des lenteurs de l’administration. Charismatique, Paul Chaslin a suscité une fidélité remarquable de la part des anciens de Geep-Industries, constitués en association, qui le soutiendront jusqu’à sa réhabilitation, dans les années 1980, puis la remise en 2008 de la croix de commandeur de la Légion d’honneur, lors d’une cérémonie présidée par Stéphane Hessel.

Engagé dans le scoutisme et les mouvements pour l’éducation populaire, Paul Chaslin a aussi présidé la Maison pour tous rue Mouffetard, à Paris 5e, créée en 1936, qui a pu être un modèle pour ce qu’il a lui-même promu : des équipements culturels intégrés, comprenant école et théâtres ou locaux sociaux, comme ceux qui a été réalisé à Istres (Bouches-du-Rhône) avec l’architecte Jean-Louis Véret, ou à Yerres (Essonne), avec Paul Chemetov.

Michèle Champenois

Dates clés
7 février 1923
Naissance à Etables-sur-Mer (Côtes-d’Armor).
1959-1971
A la tête de Geep-Industries.
18 janvier 2012
Mort à Binic (Côtes-d’Armor).

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