Mardi 12 novembre 2013, 23h50, 93bis. Utilisée hier au Salon de la photo (on sait que la photographie c’est de la saisie, même avec des pincettes), cette pince livrée avec une petite boîte de sushis. L’objet est promu comme « pratique, ludique, réutilisable, jetable, biodégradable ». Il fait partie de la mode des « verrines » pour les cocktails et des plats préparés, dessinés, emballés pour les « urbains à fort pouvoir d’achat », qui ne sont plus des « midinettes ». Renseignement pris, il n’existe pas au Japon, en dépit de son apparence (du bambou). Manger avec des baguettes, c’est une éducation, une pratique, une culture. Entre l’exotisme factice et l’efficacité minimaliste, il y a un monde, de la maladresse triviale à la virtuosité élégante. Ou alors, manger avec les doigts, ce que le monde entier fait de diverses manières, sans savoir que c’est l’objet d’une autre tendance du marketing, finger food.
Catégorie : Nourritures
La poire et la pomme
Mardi 5 novembre 2013, 23h30, 93bis. Fruits bios (poires de l’Hérault, pommes du Vaucluse) achetés à Monoprix, 20 boulevard de Charonne, Paris, 20e.
Nos arbres fruitiers, quoique greffés, gardent dans leur fructification tous les caractères botaniques qui les distinguent, et c’est par l’étude attentive de ces caractères, aussi bien que par les transformations de la greffe, qu’on s’assure qu’il n’y a, par exemple, qu’une seule espèce de poire sous mille noms divers, par lesquels la forme et la saveur de leurs fruits les ont fait distinguer en autant de prétendues espèces, qui ne sont au fond que des variétés. Bien plus, la poire et la pomme ne sont que deux espèces du même genre, et leur unique différence bien caractéristique est que le pédicule de la pomme entre dans un enfoncement du fruit, et celui de la poire tient à un prolongement du fruit un peu allongé.
Jean-Jacques Rousseau, Lettres sur la botanique à Madame Delessert, 1771-1773, « Lettre VII Sur les arbres fruitiers »Voir les suites : http://jlggb.net/blog4/?p=2998 et http://jlggb.net/blog6/2018/10/04/deux-especes-du-meme-genre-ter/
Si jamais
Jeudi 31 octobre 2013, 12h. La place du marché à Vevey, que nous avions déjà visitée, il y a des années, pour y repérer la maison de Madame de Warens. Soleil très vif pour cette fin octobre sur la Riviera, et l’envie de s’installer à l’abri de la bise à la terrasse du café Le Sunset. Allant au bar pour commander deux cafés, on entend la serveuse dire : « Service dehors, si jamais. » Cette tournure typique du français de Suisse romande m’est familière. Mais elle me surprend toujours par le goût de reproche qu’elle laisse. Ici j’entends : « Si vous voulez être à la terrasse, pourquoi ne vous installez-vous pas à attendre pour commander ? ». « Si jamais », ce n’est jamais que « au cas où ». Mais le suspens est troublant. J’ai connu Si jamais je te pince !… (de Labiche), et tous les si jamais suivis de quelque chose. L’ellipse est pourtant très efficace. Jamais n’est pas que l’envers de toujours, comme dans « Ne travaillez jamais ! ». Jamais est une variable qui prend son sens, positif, négatif, hésitant, au sein de la phrase et de l’énonciation. Jamais est un moment quelconque, une éventualité dans le temps, mais verse par nature dans le négatif, même sans négation préalable : « Jamais de la vie ». Pourtant, il y a le jà (comme déjà) et le magis (plus, davantage), qui fondent, par exemple, « À jamais ». Jamais, avec si, s’échappe dans le virtuel.
Gâteau pas cher
Lundi 14 octobre 2013, 15h. Gâteau pas cher (1,60 €) au restaurant Ikea de Villiers-sur-Marne (et plutôt bon, d’après L. et moi aussi). Un panneau nous explique que pour maintenir ces prix bas, il faut débarrasser son plateau. À vrai dire, ce gâteau figure sur le catalogue en ligne (http://www.ikea.com/fr/fr/catalog/products/30206306/), vendu par 4 pour 4,75 €.
Bakelse Princess. Gâteau crème/pâte d’amandes 320g . Une douceur royale. Le gâteau princesse, du nom des Princesses royales suédoises Margaretha, Märtha et Astrid, est LE gâteau préféré des Suédois, dégusté en toutes occasions. Continuer la lecture de Gâteau pas cher
Les progrès de la démocratie
Samedi 5 octobre 2013, 12h51, Paris 8e. Les boutiques où l’on achète des capsules de café, exclusives de la marque, sont toutes situées dans les beaux quartiers de l’ouest de Paris. Quand on pose la question du pourquoi, on nous dit qu’il s’agit d’un produit de luxe — désormais connoté écologique : Ecolaboration™, Sustainable Quality™. À voir comment les clients se plient au protocole de la queue et des courbettes, avec le sentiment de faire partie du club, on mesure le coup de génie du marketing Nestlé. Récemment, le point de vente de la rue Tronchet, vers La Madeleine, a innové : l’ambiance est toujours celle d’une grande bijouterie, mais c’est un self-service — ou self-checkout. Les variétés de café — des couleurs, des noms — sont disposées en panneaux tout autour d’une salle, constamment réalimentés par un mécanisme. Le sac rempli — élément essentiel du packaging — est déposé dans une machine, la carte Nespresso est posée sur un plateau : la liste et les prix s’affichent — les boîtes ont une puce RIFD —, et le total à payer. La carte de membre ne comporte ni nom ni numéro visibles, mais l’historique des achats est bien inscrit quelque part, qui vient enrichir les données de notre profil, pourquoi pas croisées avec celles de notre carte bancaire. Ce fichier de la clientèle vaut de l’or, et devrait intéresser sociologues et politiques. On attend de pouvoir voter avec une telle facilité.
Après coup, je trouve confirmation de tout ça sur un site de Web To Store : « Les membres encartés se trouvent à même de choisir librement leurs produits et les régler sans attente. Les hôtesses de caisse, quant à elles, deviennent conseillères et proposent le cross selling. » et sur un site de e-marketing : « La nouvelle tendance est le premium access. Autrement dit, démocratiser un service sans le désacraliser. »
Fin d’occupation à Kyoto aussi
Samedi 28 septembre 2013, 13h, Kyoto. Situation symétrique de celle trouvée en arrivant à Tokyo. Dans la grande rue commerçante de Kawaramachi dori, nous avions nos habitudes dans un immeuble nommé Bal, occupé par un grand Muji et par la librairie Maruzen, avec une cafétéria agréable au sommet, à côté des livres. Il a été détruit (pour être reconstruit). Muji a ouvert, à quelques dizaines de mètres, un restaurant écologique où l’on peut se rabattre. Remarquer les chaises Fukasawa de la « Muji Life ».
Voir : « Occupation (34 : le signe est un visage) » du 26 juin 2011, http://jlggb.net/blog2/?p=6020 et « Fin d’occupation » du 17 septembre 2013, http://jlggb.net/blog3/?p=6519.
Reconstituant
Une chose qui me plaît au Japon
Mercredi 18 septembre 2013, 11h40, Tokyo. Face aux Beaux-Arts à Ueno, un café de la chaîne du café de Kobe « Precious Moment Coffee ». Une chose qui me plaît au Japon : parfois tout est presque parfait, matières, lumières, ambiance. Et aussi les objets (la tasse et la cuillère Sori Yanagi réglementaires), le graphisme de l’enseigne.
Voir : « Dossier : Sori Yanagi (1915-2011) », 8 janvier 2012, http://jlggb.net/blog3/?p=757.
Nourrir un blog
Mardi 27 août 2013, 23h30, 93bis. Rien de politique cette fois (« Enfin un dessert normal ! » du 6 mai 2012 traitait du Flanby). Une manière, libre de toute métaphore, de rentabiliser le dispositif des sardines, qui est resté en place. La Panna cotta, sur lit de caramel vient de la supérette U voisine (2,35 € les deux). L’assiette creuse en porcelaine est de Jasper Morrison pour A di Alessi.
« Prendre la nourriture en photo pourrait être la manifestation d’un véritable problème psychologique », cette affirmation de Mme Valerie Taylor, chef du service de psychiatrie au Women’s College Hospital à l’université de Toronto, a été relayée par tous les médias au mois de mai dernier, par exemple par un article du HuffPost. Un site, lancé en mars 2012, avait proposé d’augmenter le phénomène en collectant sur Tumblr les Pictures of Hipsters Taking Pictures of Food. Autre constat, relevé au hasard de Google : http://www.amelie-broutin.com/2012/01/03/le-mystère-de-la-bouffe-sur-facebook/. La question avait été signalée le 27 mars 2011 dans le billet « Minimalisme alimentaire ». Sans entrer dans l’analyse de cette pratique de masse (la population de ceux qui ont à manger tendrait à coïncider avec celle de ceux qui ont toujours un appareil sur eux), que chacun peut constater, j’y vois le degré zéro d’« alimentation du blog ». Ce que j’ai devant moi pour le manger est la preuve de mon existence. Le photographier est une manière, pas uniquement narcissique, de l’ingérer tout en le donnant à voir. Philippe Lejeune a souligné que Le Pacte autobiographique (Seuil, 1975) se définit par le type de lecture qu’engendre l’autobiographie. Dès 2000, avec « Cher écran… ». Journal personnel, ordinateur, Internet (Seuil), il analyse l’apparent paradoxe du cyberdiariste pour qui le web est un dispositif intime d’écriture. Je le constate, le couple technique photo mobile et journal partagé en réseau est insatiable.
Sardines en boîte
Samedi 24 août 2013, 23h30, 93bis. Les sardines en conserve sont à la mode. On parle des 200 ans des conserveries bretonnes, des « sardines de garde », des « sardines millésimées », etc. Cet été, long reportage dans l’émission Capital, article dans Le Monde Magazine, clip publicitaire sur « C’est extra » de Léo Ferré (les fans se sont offusqués, oubliant deux choses : qu’en 1969 Ferré surprend en déplaçant un mot dont use la publicité; et qu’extra appartient au vocabulaire culinaire). De mon enfance, une chose est restée dans un coin de ma tête, un malaise non éclairci : on nous citait un restaurant de grand luxe (Pic à Valence) où l’on pouvait commander des sardines en conserve, mais qu’alors elles étaient servies dans leur boîte. Je prenais ça pour du cynisme, une façon pour le restaurateur de se moquer du pauvre client, ou alors pour du snobisme de la part du client. J’ai vu depuis que, par exemple chez Lipp, on vous les sert dans leur boîte renversée sur une assiette. C’est peut-être cette histoire de High and Low qui m’intéresse et qui réveille la poétique de la boîte de sardine. La marque Connetable insiste sur sa boîte rouge. On voit qu’elle devient un cadre, d’autant que l’opération de mise en conserve est une mise à plat. Avant même d’être photographiée, c’est une image. C’est remarquable dans les photos de Wols, cette mise à plat relève de la pesanteur. On est bien obligé, sinon l’huile coule.
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Wols (1913-1951), photographie non datée (probablement à Paris vers 1937, pendant la guerre, à Dieulefit, Wols n’avait pas d’appareil) prise dans le livre : Laszlo Glozer, Wols Photograph, Schirmer/Mosel, Münich, 1978, pl. 69 et Wols Photographe, Centre Georges Pompidou, 1980, pl. 69. [dr]