Coïncidence

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Dimanche 1er septembre, 19h, 45 rue de Lancry, Paris 10e. Ce qui attire d’abord l’attention, ce sont les grandes plantes sèches dressées sur la terrasse, qui lancent le regard vers le haut. L’immeuble moderne qui est derrière est beau par la régularité de sa façade dont les fenêtres hautes et étroites sont toutes des portes-fenêtres avec garde-corps métalliques. La réglementation sous Pompidou a interrompu la règle hausmannienne : les immeubles pouvaient être plus hauts, à condition qu’ils soient en retrait, de façon à ce que, de la rue, ils semblent alignés avec les plus anciens. Un effet littéralement collatéral est la présence d’une terrasse et de ces grands murs nus qui n’ont pas pu être mitoyens. Puis est venu le temps, qui dure depuis trente ans, des tags et des graffs, qui donnent lieu à des compétitions et à des exploits, souvent dangereux. L’écran publicitaire qui défile et qui affiche un iPad ouvrant lui-même sur l’image d’un clavier virtuel en semble l’antidote. Mais il n’est au fond que la version industrielle, clean et démultipliée à l’échelle de ses dizaines de millions d’exemplaires, du même désir. On le voit, la lisibilité n’est pas réservée aux mots, ni même aux signes. Auteur de La Lisibilité du monde, le philosophe Hans Blumenberg est évoqué par Georges Didi-Huberman dans Atlas ou le gai savoir inquiet (Minuit, 2011), page 15, pour dire : « Lire le monde est une chose bien trop fondamentale pour se trouver confiée aux seuls livres ou confinée en eux : car lire le monde, c’est aussi relier les choses du monde selon leurs ‘rapports intimes et secrets’, leurs ‘correspondances’ et leurs ‘analogies’. » (Cité par L. dans son blog Übersicht.)


Gerhard Richter, Verkündigung nach Tizian (Annonciation d’après Titien), 1973, huile sur toile de lin, Hirshorn Museum, Washington D.C., photographiée le dimanche 8 juillet 2012 dans l’exposition Gerhard Richter, Panorama au Centre Pompidou. La notice dit, qu’avec cette œuvre, « l’une des rares confrontations avec l’art religieux », « l’artiste reconnaît humblement l’impossibilité de peindre aujourd’hui à la manière de Titien. » Je pense qu’il faut replacer ce tableau, du fait même de sa singularité, dans la peinture, à la fois d’histoire et familiale, de Richter.


Alfred Manessier, L’Otage, 1987, huile sur toile, collection particulière, photographiée (sans autorisation) au Centre culturel de rencontre de l’Abbaye de Saint-Riquier, le jeudi 19 juillet 2012. Dans un texte hommage du catalogue Alfred Manessier. Le tragique et la lumière, Joëlle Brunerie-Kauffmann rapporte comment son père, Pierre Brunerie, a connu Manessier en architecture aux Beaux-Arts de Paris, comment il lui commanda en 1957-1958 des vitraux pour la chapelle Notre-Dame de la Paix au Pouldu, et comment son mari, Jean-Paul Kauffmann, fut soutenu, lors de sa longue détention au Liban, de 1985 à 1988 — voir Ina —, par le peintre et à travers son tableau : L’Otage.


JLB, Les Perspecteurs, installation vidéo interactive, 2004-2010, ici à l’École supérieure d’art du Havre (voir : http://jlggb.net/blog2/?p=1418). Si la bande-son — que le spectateur peut retrouver en agissant, par le truchement du personnage de Marie qui écoute un iPod — contient des phrases de Daniel Arasse sur la perspective des Annonciations en peinture, elle cite également Joëlle Brunerie sur la lutte pour la contraception. Ce choix est aussi un hommage à ma propre mère, à son attitude morale et militante en faveur du planning familial dès les années soixante.


Mardi 3 juillet 2012, 13h45, restaurant Kim & Kim, rue Chevreul, Paris 11e. Ce petit restaurant familial authentiquement coréen est bon marché et d’une réputation justifiée. Avant de cuire, le bœuf aux légumes — avec du calamar ensuite — offre une jolie image colorée dans son cercle de barbecue. On note que c’est en 1839 que le chimiste Eugène Chevreul publie De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés dont l’influence artistique se prolonge jusque dans cette photo.

Notice Cnrs, ici.
Notice sur deux livres de Chevreul, ici.

Le cercle chromatique de Chevreul. (dr)

Néon néon


Vendredi 17 février 2012, 15h51. L’offensive néon ne pouvait pas rester sans réplique. J’avais repéré depuis longtemps, chez Zaoui, Électricité générale, 29 rue de Cotte, Paris 12e, le mot néon écrit en néon, ou plus exactement un néon formant le mot néon et, qui plus est, faisant enseigne pour dire : ici on fait des enseignes en néons. En matière de tautologie conceptuelle, je ne voulais pas faire concurrence à Joseph Kosuth. Mais, l’ayant croisé hier soir et n’ayant rien remarqué chez lui qu’une tête à être né en 1945, je sors mon néon sur le mode readymade. Ce qui devrait compter car on sait que le readymade initial (Fountain) n’a même pas eu besoin d’exister autrement qu’en photo. Certes dans un catalogue, mais le blog fait l’affaire. Il faut reconnaître que le néon NEON de Kosuth date de 1965.

Vérification du readymade sous Google Street View. Il faut savoir que le néon clignote au rythme de la demie seconde environ, ce qui complique la prise de vue.


Mercredi 8 février 2012; 13h30. Grand froid, temps gris. Je passe au métro Charonne et je photographie le livre d’Alain Dewerpe, Charonne 8 février 1962, Anthropologie historique d’un massacre d’État, Folio histoire inédit, 2006, que j’ai acheté en lu en grande partie en 2006 — il fait 898 pages (son éditeur est donc aussi « le mien », Éric Vigne). Mon camarade Alain Frappier (nous faisions de l’agitprop ensemble il y a près de 40 ans) vient de sortir une bande dessinée, Dans l’ombre de Charonne, Editions du Mauconduit. Ce soir, présentant Aalam Wassef, artiste égyptien engagé dans la Révolution au Caire (et sur Internet), que j’ai connu chez Gallimard en 1999-2000  à l’époque de Moments de Jean-Jacques Rousseau, invité par l’Observatoire des nouveaux médias, j’ai cité ce 50e anniversaire en disant que le 8 février 1962 avait eu tendance à masquer le 17 octobre 1961, date noire qui vit le massacre de plusieurs centaines d’Algériens dans Paris et à ses alentours. Un autre de mes camarades, Jean-Luc Einaudi, avait écrit un livre historique sur Octobre 1961 et il eut notamment le mérite de gagner son procès contre Maurice Papon (le préfet de police lors de ces deux événements) à l’époque où celui-ci était poursuivi à Bordeaux pour sa culpabilité dans la déportation de Juifs. En 1963, mon camarade de lycée Gérard Bois me montra le film de Jacques Panigel, Octobre à Paris, qui était interdit. Des années plus tard, mon ami André Iten me raconta comment il avait obtenu ce même film pour sa collection au Centre pour l’image contemporaine de Genève.


Mercredi 1er février 2012, 17h. Salon de coiffure au 84 rue Monge, Paris 5e. Pour continuer la collection d’enseignes cursives (et en relief). Où l’on remarque que ce n’est pas seulement l’enseigne — années 50-60 — qui est préservée, mais aussi une certaine oblique du cadre de la devanture. Ceci doit donner confiance aux clients pour qui le cheveu relève de l’artisanat, ceux qui évitent les enseignes franchisées. Le nom de la rue, qui longe à son début l’ancienne École polytechnique dont il fut le cofondateur en 1794 : Gaspard Monge, 1746-1818, mathématicien, géomètre, révolutionnaire. Une enseigne en 3D, cela a peut-être quelque chose à voir avec le calcul des volumes par le dessin : Monge est l’inventeur de la géométrie descriptive. Ou alors est-ce une histoire de cheveux coupés très court ? J’ai connu M. Maurice Monge, professeur et auteur de nombreux manuels de mathématiques. Mais ceci est une autre histoire.
voir : http://jlggb.net/blog3/?p=289


Vendredi 27 janvier 2012, 16h. Journées portes ouvertes à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, rue d’Ulm, Paris. Dans l’Atelier des objets communicants, ce petit montage qui n’a rien d’extraordinaire mais qui est amusant est symbolique de ce que l’on fait avec des diodes électroluminescentes, qui ont besoin de peu de courant. Ici la diode est branchée sur deux « pains » de farine humide et acidulée au jus de citron.

Digressions :


Joseph Beuys, Wachsplastik,1958. Transformateur, masse de cire. Vitrine de la salle 5 du Block Beuys de Darmstadt. [dr]


Joseph Beuys, Capri Battery, multiple, 1985. Citron, douille et ampoule. [dr]






Mercredi 18 janvier 2012, 14h-18h, Genève. Journée portes ouvertes à l’école d’art. J’en profite pour sortir et faire un grand tour. Après Plainpalais et le BAC pour l’exposition des photographies « volées » dans le métro parisien de Chris Marker, Passengers, je vais aux Eaux vives où je vois le jet d’eau, pour la première fois du plus près possible. Je prends le bateau navette La Mouette jusqu’aux Paquis, puis de nouveau jusqu’à la place Mollard. Pour voir l’exposition de Damien Hist, The Complete Spot Paintings, je sonne au 19 place de Longemalle pour accéder au premier étage, à la galerie Gagosian (l’affichette est en Cooper Black). Ayant traversé les magasins Globus et Coop, je passe le pont de la Machine, je remonte jusqu’au magasin Manor. La mention « RR » est énigmatique. Il faut avoir connu, il y a dix ans au moins, le panneau lumineux « Rez Rousseau » pour le décrypter. À Genève on dit couramment rez pour rez-de-chaussée et celui-ci est au niveau de la rue Jean-Jacques Rousseau; l’autre, le « RC », est au niveau de la rue de Coutance. Dans le bâtiment James Fazy de l’école, je visite l’atelier de fabrication numérique et je tombe sur le masque mortuaire de Rousseau, reproduit à la prototypeuse à poudre, à la demande d’une exposition de la Ville. L’exemplaire qui est là a connu quelques défaillances, il lui manque quelques couches. Objet intéressant.


Vendredi 6 janvier 2012, 19h, café Pause café, rue de Charonne, 11e. Déjà, le jeudi 22 septembre 2011, au restaurant Pasta e Fagioli di Lucca, rue Claude Bernard, Paris 5e, le tiramisu pour deux s’imposait comme cliché. Un cliché, ça se répète et — ça tombe bien — l’envie d’un dessert, ça se répète aussi. Ce tiramisu a obtenu la note 14. L’autre n’avait que 13.


Celui de septembre 2011. On appréciera la concordance des couleurs ! — Sans artifice.


Vendredi 30 décembre 2011, 20h55, Centre Pompidou, galeries contemporaines : Yayoi Kusama, Infinity mirror Room (filled With the Brillance of Life) — Salle des Reflets Infinis (emplie de l’Éclat de la Vie) — 2011, environnement, miroirs, métal, Plexiglas, lampes bulbes électriques, bois, placoplâtre, plastique, eau, 300 x 617,5 x 645,5 cm, collection de l’artiste. L’exposition ferme dans 5 minutes, les gardiens disent : « photos interdites », mais tout le monde photographie. Voir : le dossier de presse, le site de l’artiste et les photos de l’exposition, le billet jlggbblog du 26 juin 2009, http://jlggb.net/blog/?p=4134.

Note : Coïncidence, au même emplacement dans le Centre Pompidou, j’ai vu, en 1981, lors de l’exposition de Piotr Kowalski, exposée à côté de la Time Machine II, la sculpture Le Miroir. Dans son très bon livre consacré à Piotr Kowalski (Hazan, 1988), Jean-Christophe Bailly confronte cette pièce à la Time Machine dont le projet est de renverser le temps. Deux miroirs à double face et en angle droit, tournant rapidement sur leur axe d’intersection vertical, donnent du regardeur une image non inversée. Mais, dans sa description et dans son commentaire, il fait une grave erreur : « Ce double inconnu qui nous contemple crée un vertige. Jamais encore nous ne l’avions rencontré, jamais encore nous ne nous étions vus comme un autre nous voit. Qu’on ralentisse la rotation du plateau et l’immobilise, et l’image redevient normale, c’est-à-dire inversée. » (p. 85) Faire tourner l’ensemble élargit uniformément le champ à 360 degrés et donne au reflet un aspect fantomatique et volumique, qualités importantes de cette œuvre. Mais, chacun l’a sans doute vérifié lui-même, par exemple dans le décor d’un café : deux miroirs formant un angle droit produisent deux symétries qui s’ajoutent et qui annulent donc l’inversion, indépendamment de toute rotation. C’est pour cela que, où que l’on soit, on se voit toujours coupé par l’angle — comme le photographe dans l’environnement de Yayoi Kusama.


Piotr Kowalski, Le Miroir, 1979, Ronald Feldman Gallery, 31 Mercer Street, New York (dr).

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